• La Pédagogie de Maîtrise à effet Vicariant est née des travaux de l'équipe animée par Michel Monot, IEN à Nouméa. Sa circonscription connaissait de sérieux problèmes d'assiduité des élèves, notamment canaques urbanisés acculturés. Le souci de l'équipe de Michel Monot a été de trouver une organisation pédagogique
    1 - qui réponde aux instructions officielles
    2 - qui permette à chaque élève d'être engagé dans les apprentissages pendant tout le temps qu'il passe à l'école.

    Fondés sur une hypothèse de Reuchlin pressentant les importantes applications pédagogiques de l'apprentissage vicariant, les travaux ont visé à structurer et à maîtriser pour l'école élémentaire une pédagogie de maîtrise "à effet vicariant". Les recherches ont ainsi postulé qu'en laissant le choix de la tâche à l'élève, le bénéfice en termes d'apprentissage est plus grand : il doit d'abord se représenter la tâche à effectuer, faire le tri entre ce qu'il peut faire et ce qu'il ne peut pas encore faire, accomplissant un travail métacognitif qu'il appartient alors à l'école d'accompagner en l'étayant. 

     

    CONCRÈTEMENT
    L'année est divisée en "mini-périodes" dont la durée varie avec l'âge des élèves : 3 semaines en fin de cycle 3, 1 semaine en CP. Durant cette mini-période l'élève a un certain nombre de fiches à effectuer. 

    Pourquoi cette organisation ? Les "bons élèves" vont effectuer les fiches plus vite que les élèves qui connaissent des difficultés. Le découpage en "mini-périodes" évite que les "bons élèves" prennent tant d'avance que les autres ne se représentent plus la fiche dont il est question.

     

    LA MI-JOURNÉE EST DIVISÉE EN 3 TEMPS


    1 - un temps de travail individuel (TI) : c'est le travail sur les fiches, que l'élève choisit. La durée varie en fonction de l'âge. 

    2 - le bilan : les élèves viennent présenter leur travail, c'est à dire les fiches qu'ils ont effectuées, à l'ensemble de la classe. Les "experts" fournissent ainsi aux "novices" des indices, des informations, qui vont leur permettre de pouvoir effectuer des tâches qui leur étaient inaccessibles au début de la période. Pour les "experts", c'est d'un véritable travail de reformulation et d'expression orale qu'il s'agit. Ici l'enseignant n'a que peu d'interventions de nature pédagogique. Le maître doit effectuer un rigoureux travail de pointage des fiches effectuées par chacun, pour mesurer la progression de la classe. Une même fiche peut être présentée plusieurs fois pendant une mini-période. Pour revenir au découpage en mini-périodes, il est important que le bilan vienne répondre à des interrogations au sujet d'une fiche que l'élève a vu mais qu'il n'a pas su faire.

    3 - les leçons n'ont pas disparu : elles ont lieu quand le besoin s'en fait ressentir. C'est le 3ème temps.
     

    QUELQUES REMARQUES

    Le résultat en termes de comportement des élèves est étonnant. Je n'ai jamais fait la moindre discipline pendant les moments de bilan, alors qu'il est commun aux ce1 et aux CP. L'engagement des élèves est bien réel, notamment chez ceux qu'il fallait régulièrement remettre face à leur travail avec une pédagogie frontale.

    Cette pédagogie a été conçue pour des élèves lecteurs. Avec plusieurs collègues disséminés en France, nous y avons apporté les adaptations nécessaires pour qu'elle fonctionne chez des apprentis-lecteurs et des lecteurs débutants. La présentation aux élèves de fiches sans consigne écrite est une réussite. L'élève doit d'abord se demander ce que l'on attend de lui... et y arrive très bien.

    La représentation que l'enseignant a de ses élèves change : certains élèves qui étaient "faibles" effectuent un nombre de fiches remarquable, et ont une part active en posant des questions pertinentes aux moments de bilan.

    Ici il n'est question que du français et des mathématiques. Rien n'empêche d'adopter la même organisation pour les activités de découverte du monde.

    Un point négatif : ce que l'on gagne dans la classe, on le perd chez soi, au moins la première année, quand il faut fabriquer les fiches. Il est vrai qu'il s'agit d'un investissement, mais il peut paraître lourd. C'est pourquoi on trouve des fiches en téléchargement sur "l'anneau desites PMEV".

    Autre point négatif : si cette organisation pédagogique a été conçue au départ avec des fiches fabriquées avec des ciseaux et de la colle, l'usage de l'informatique s'avère vite "rentable" :

    la réalisation des fiches est plus rapide

    on peut participer sur internet a des discussions avec la centaine de collègues en France qui ont adopté cette organisation. L'adaptation de cette organisation à sa propre classe en est considérablement accélérée.

    CONCLUSION

    Il ne s'agit pas d'une recette magique qui résout tous les problèmes, mais d'une organisation pédagogique qui apporte de nettes améliorations. 

    Il ne s'agit pas à proprement parler d'une nouvelle pédagogie. Il n'y a aucun discours idéologique qui la soutient. On a repris les composants de la pédagogie frontale en les organisant autrement. On a cherché à engager les élèves dans l'apprentissage, et à faire profiter les élèves les plus faibles de la maîtrise des élèves les plus forts. 

    - Une autre présentation sur le site de Paul Desette
    - La présentation détaillée de la PMEV, sa genèse, des éclairages théoriques, la convergence avec les IO... sur le site de Michel Monot 

    Eric Vermeulen, 2004

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    2 commentaires
  • L’un des objectifs essentiels de l’Ecole de la République, qui s’érige aujourd’hui en école de la démocratie, est de former des citoyens autonomes et responsables, aptes à assumer eux-mêmes, individuellement ou collectivement, leur destin. L'objectif est ambitieux, mais il nous concerne tous et nous devons nous y consacrer.


    Si l’on part du constat que l’autonomie n’est pas innée, qu’on ne peut pas davantage la décréter, qu’elle se construit tout au long de l’enfance et de l’adolescence, et si l’on ajoute à cela que certains élèves, parfaitement autonomes dans la vie, ne le sont plus du tout en milieu scolaire, il faut se faire une raison et lever toute ambiguïté : l'autonomie de l'enfant ou de l'adolescent en milieu scolaire, écolier ou collégien, fait clairement partie de la tâche qui incombe aux enseignants. 

    Lever toute ambiguïté car le terme d'autonomie peut être diversement interprété…. Selon le sociologue Philippe Perenoud , l’autonomie peut consister à "se concevoir comme un être libre et se rebeller contre tout ou partie des normes et des directives dont on est l'objet". A ce titre, nombre de nos élèves sont précocement "autonomes", mais pas au sens souhaité par l'Ecole ou conforme à l'idée que nous nous en faisons. Il est vrai, cependant, que l’école n'a pas su éviter cette forme indésirable d’autonomie et il est même possible qu'elle l'ait parfois favorisé. 

    L'autonomie que nous visons, peut-être utopique pour certains, est la capacité de s’approprier soi-même de nouvelles connaissances, d’abord à l’école puis pendant toute sa vie. Le chemin pour y parvenir est long, semé d'embûches voire de dérives pernicieuses, d'autant que le point de départ n'est pas le même pour tous sur le chemin de la vie. L'enfant commence dès l'école maternelle à feuilleter ses premiers albums, puis il apprend plus ou moins facilement à lire et à écrire avant d'entrer dans une zone de perturbations dont il ne se sort pas toujours indemne. Que faire pour limiter les risques d'exclusion, pour aider nos élèves à conquérir cette autonomie scolaire qui prélude à l'autonomie citoyenne que chacun revendique ? 

    Il parait d'abord nécessaire de sortir des lieux communs, de compléter les analyses classiques des problèmes de l'école par quelques observations simples dont la prise en compte peut s'avérer d'un grand secours. 

    1 Eléments d'analyse 


    1.1 du côté des élèves… 

    1.1.1 Mauvais élèves… ? 

    On sait qu’un certain nombre d’élèves en échec rejettent une pédagogie frontale qui, en voulant imposer à tous le même rythme et le même mode d’apprentissage, ne leur convient pas. Pour ces élèves, il faut opposer, à la pédagogie frontale traditionnelle, une pédagogie individualisée qui donne à chacun le temps qu’il lui faut pour apprendre et lui laisse le choix du mode d’apprentissage. 

    Mais on sait aussi qu'il ne s'agit pas là d'une loi absolue. Au même moment, dans la même classe, on peut trouver d'autres enfants en difficulté qui, eux, redoutent, au contraire, d'être confrontés à des situations de travail autonome car elles nécessitent des ressources personnelles qu'ils sont loin d'avoir acquises. 

    Cette situation complexe, propre à alimenter les polémiques dans le monde enseignant et lourde, en tout cas, de contradictions qui peuvent paraître inconciliables, appelle des traitements différenciés qui peuvent encore ajouter à la l’hétérogénéité des niveaux scolaires des élèves, ainsi qu’au malaise et aux difficultés qui en résultent. 

    1.1.2 … et bons élèves 

    Les "bons élèves" ne sont pas tant, comme on pourrait le croire en première approche, des élèves "sages comme des images" qui répondent juste à tous les coups…. A observer longuement leur comportement dans des classes très diverses, on découvre surtout des élèves qui ne répondent pas au hasard. Ils savent ou ils ne savent pas, mais « ils savent qu’ils savent ou qu’ils ne savent pas », d'où un comprtement assez caractéristique : ils répondent quand ils pensent avoir la réponse mais s'abstiennent quand ils ont des doutes. Et si ces élèves sont en général "sages comme des images", c'est qu'ils se sentent bien en classe et ne sont pas stressés… 

    Ce comportement spécifique, signe de compétence et d'autonomie, doit souvent beaucoup à l'éducation familiale, mais l'école peut aussi et doit y prendre sa part, ce qui pose de manière aiguë le problème de l'efficacité des apprentissages et des méthodes pédagogiques. En termes d'efficacité des apprentissages, toutes les méthodes ne se valent pas, et c'est encore plus vrai pour ce qui concerne l'autonomie de l'apprenant, qu'il soit écolier ou collégien. 

    1.2 Du côté du "système" 

    Il y aurait beaucoup à dire mais nous serons très brefs. 

    1.2.1 Programmes 

    En matière de programmes, l'école se cherche et n’a pas encore de certitudes : le temps consacré à la langue orale vient cette année de disparaître de la rubrique "Français" pour être réparti entre diverses disciplines, ce qui peut être une mesure très efficace bien qu'encore déconcertante pour beaucoup. 

    1.2.2 Horaires 

    En matière d'horaires, rien n'est simple. Des enquêtes très rigoureuses ont montré que dans des classes réputées bonnes et censées appliquer les mêmes horaires officiels, le temps consacré aux diverses disciplines peut en réalité varier du simple au double. Mais ces enquêtes, dans leur précision indiscutable, occultent encore une large part du problème. 

    1.2.3 Temps officiel, temps appliqué, temps investi 

    Les différences entre les horaires officiels et les horaires appliqués ne sont rien au regard des variations constatées dans le temps effectivement investi par l'élève dans sa tâche, variations qui posent là encore le problème des méthodes pédagogiques. Le problème est complexe, difficile à aborder car on pourrait croire qu’il met en cause le principe sacré de la liberté pédagogique, liberté indispensable dans une profession qui exige un investissement personnel de qualité. Mais il n'est pas pour autant insoluble, et les enseignants qui ont adopté les démarches de la PMEV pour tenter de résoudre ce délicat problème de "temps investi" admettent que leur liberté n'est nullement remise en cause. Une chose est sûre qu'il faut cependant souligner : le degré de qualification d'un élève, son autonomie "professionnelle", dépendent de l'efficacité de ses études et celle-ci dépend des pratiques pédagogiques utilisées. Ce problème d’efficacité devient aujourd’hui une préoccupation centrale et les maîtres en ont aujourd'hui mieux conscience. 

    1.2.4 Le difficile contrôle des horaires 

    Le contrôle des horaires appliqués et du respect des programmes, tâche traditionnelle mais non unique des corps d'inspection, a parfois été mis en cause, au nom notamment de la grande diversité des situations ou des différences de rythmes d'apprentissage. Les maîtres pratiquant la PMEV, non moins soucieux que d'autres de l’importance des enjeux et de leur propre efficacité professionnelle, sont confrontés, par leur pratique, à une difficulté plus grande de contrôle des horaires appliqués. Mais ils tiennent, sans malice, le raisonnement suivant : si l’horaire préconisé dans une discipline autorise un volume d'apprentissage déterminé, et que ce volume d'apprentissage a été atteint, c'est que le dit horaire a été appliqué ou, du moins, l'intention du législateur respectée. 

    1.2.5 Vers une solution ? 

    Problèmes nombreux, problèmes complexes, enjeux majeurs. C’est à tout cela que la Pédagogie de Maîtrise à Effet Vicariant tente de répondre, en intégrant et en révisant, autant que faire se peut, toutes les données du problème. Elle pourrait donc jouer un rôle décisif dans la gestion de l’hétérogénéité croissante et polymorphe de la population scolaire. Non parce qu’elle innove – elle ne cherche qu'à mieux comprendre – mais parce qu’elle réhabilite un processus d’apprentissage majeur que l’école n'a, pour ainsi dire, pas su "maîtriser", processus natif améliorant les apprentissages et, qui plus est, très favorable à la conquête de l'autonomie que nous avons définie. 

    En quoi consiste cette pédagogie ? En quoi peut-elle améliorer les résultats et favoriser l'autonomie de l'élève ? C'est ce que nous allons maintenant aborder. 



    2 La PMEV 


    La PMEV n'a pas cherché à innover, même s’il est vrai qu'elle peut surprendre. Elle n'abandonne la conduite frontale de la classe que pour mieux retrouver, dans la durée, une progression relativement frontale de la classe. Elle ne met les élèves en autonomie que pour mieux apporter à ceux qui en seraient déstabilisés des éléments propres à les sécuriser et à étayer leur progression. 

    La PMEV n'est pourtant à l'origine qu'une simple mise en application des IO de 89, relatives à la réforme des cycles, qui stipulaient : 

    « Les formules permettant aux élèves de travailler selon leurs rythmes et leurs possibilités, à la réalisation d’une tâche dont ils connaissent les finalités, et permettant aux maîtres d’observer et de comprendre ce qui se passe dans les activités d’apprentissage peuvent faire l’objet d’expérimentations et d’évaluations. » 

    En langage de bon sens : 1) Ne pas exiger brutalement des élèves plus qu'ils ne peuvent supporter ; 2) Ne pas accepter qu'un enseignant de qualité soit bridé dans la mise en œuvre de ses compétences. Car ces deux graves travers de notre système scolaire, étroitement solidaires et bien réels, constituent de sérieux freins à son fonctionnement normal et aux objectifs qu'il poursuit. 

    C'est de cette formule très officielle, qui tenait moins de la recette miracle que d'un lourd "cahier des charges", qu'est donc née la PMEV. Il s'agissait de remplir le contrat, de mettre au point une organisation pédagogique conforme aux prescriptions et de rendre compte, ce qui fut fait. Mais il fallait aussi faire circuler plus largement l'information, signaler les emprunts originaux et expliquer les particularités de la démarche mise en œuvre, résumer le tout en donnant un nom à cette organisation qui avait besoin d'être située dans la constellation des approches pédagogiques. Un nom qui ne sacrifie rien aux impératifs du marketing mais tout à l'exigence de sens. Ce nom est ce qu'il est - il n'est pas très heureux - parce qu'il n'y en avait pas d'autre pour définir la méthode, et qu'il en résume assez bien l’objectif et les moyens. 

    2.1 Pourquoi Pédagogie « de Maîtrise » ? 

    Parce qu’il s’agissait, au moment où cette méthode à été mise en place aux Etats-Unis, de travailler à égaler dans les classes les résultats atteints par le préceptorat, en essayant de donner à chacun, pour respecter la formule de Bloom, « tout le temps dont il a besoin pour apprendre ». Mais aussi parce que la notion de "maîtrise", injustement occultée par la suite et dépréciée dans la formule dite de "pédagogie par objectifs", permet de se recentrer sur l'idée forte d'un double professionnalisme : "maîtrise" du métier d'élève et "maîtrise" du métier d'enseignant, métiers qui impliquent tous deux un haut degré de compétence et, dans son sens le plus noble, d'autonomie. 

    2.2 Pourquoi « à effet vicariant » ? 

    C'est le MOYEN retenu en vue d'atteindre l'objectif fixé par Bloom, pour ne pas reproduire mécaniquement le modèle initial et ses imperfections mais tenir compte des critiques qui lui avaient été adressées par le courant "constructiviste" . Il était nécessaire d'afficher notre spécificité - celle d’un apprentissage par analyse et repérage d’indices - que nous sommes arrivés à définir en explorant la piste ouverte par Albert Bandura et dont Maurice Reuchlin a souligné l'intérêt potentiel, 

    2.3 Quelques précisions 

    En PMEV, on apprend beaucoup en regardant les autres apprendre, en quelque sorte "par procuration", a même pu dire un collègue avec un rien d'ironie qui ne doit pas tromper. C'est bien ce principe qui nous permet de rendre effectivement les élèves "apprenants" ; de redonner confiance aux élèves en échec pour les conduire vers la maîtrise de leur "métier" donc vers l'autonomie ; de résoudre presque à la source bien des problèmes de discipline ; et même de laisser penser à certains maîtres désabusés qu'ils redécouvrent leur métier…. 

    L’apprentissage vicariant pourrait donc correspondre, dans le contexte scolaire, à ce que l’enfant peut apprendre par ses propres moyens, de manière autonome, en marge du discours du maître proprement dit mais à l’initiative et sous le contrôle de celui-ci : en regardant faire et en écoutant ceux qui savent faire ou qui sont en train d’apprendre, ou encore, par extension, en analysant leur production. Et surtout, en parlant beaucoup, beaucoup, de tout cela. 

    La PMEV, au fond, n'apporte pas de véritable nouveauté. Elle s'apparenterait même à une restauration qui a le mérite d'être claire et qui ne constitue pas une régression ou un retour au conditionnement de l’enfant. Elle prend appui sur des processus éprouvés par le temps, plus ou moins dévalorisés par l'école car – c'est un comble ! - mal analysés, Elle en redéfinit la problématique et tente d’en rationaliser la mise en œuvre, complétant en outre utilement l'éclairage actuel de la didactique et des sciences cognitives dont l'insistance sur les "changements de représentations" appelle à notre sens une pratique nuancée et donc une remarque. 

    Observer et comprendre ce qui se passe dans les apprentissages, comme le prescrivaient les Instructions Officielles, c'est parfois découvrir qu'un enfant s'est sorti d'affaire tout seul, comme un être déjà autonome. C'est admettre qu'il était le mieux placé et déjà suffisamment aguerri pour comprendre sa situation et se repositionner de lui-même. Ces prises de conscience spontanées sont assez fréquentes en PMEV, du fait d'un mode de fonctionnement particulier qui privilégie l'étayage plutôt que la guidance, et ces mots n'ont évidemment pas le même sens, l’un tendant vers la liberté et l'autre, dans les conceptions généreuses mais excessives que l'on en rencontre parfois, vers un dangereux assistanat. 

    Ces prises de conscience n'en relèvent pas moins elles-mêmes, pour une large part, des "changements de représentation", auxquels elles ne s’opposent pas. 



    3 Vers l'autonomie 


    Les diverses options pédagogiques de la PMEV, adoptées pour faciliter la maîtrise des apprentissages essentiels du "métier" d'élève en tant que préalables à l'autonomie future de l'adulte, ont effectivement permis de mettre en œuvre des processus dont les effets à plus long terme ont pu paraître inattendus. 

    Des raisons techniques, inhérentes à cette option "vicariance", imposaient de laisser l'enfant choisir sa tâche. Cette nécessité a permis - dans le cadre d'un fonctionnement délibérément systémique offrant dans l’action des possibilités de manœuvre relativement élaborées - de préciser et d'activer ce qui est sans doute un des meilleurs atouts de la PMEV. 

    3.1 Le plaisir du choix 

    Pouvoir choisir est, pour le plus grand nombre, synonyme de plaisir. Le plaisir du choix favorise donc l'acceptation de la contrainte scolaire et l'engagement de l’élève dans sa tâche, ce qui est déjà beaucoup, mais le plus important est ailleurs, dans une perspective ouverte en matière de "profil scolaire" qui autorise à parler de "construction d'un profil de bon élève". 

    3.2 La nécessité du choix 

    Sans prétendre à l'exclusivité, la PMEV propose à ce sujet une approche originale fondée sur la nécessité du choix. Pour choisir, l'élève doit d’abord se représenter la tâche à effectuer, l'analyser, faire le tri entre ce qu’il peut et ne peut pas encore faire, travail exigeant mais hautement formateur. C’est dans la mesure où le dispositif particulier de la PMEV apporte chaque jour son petit lot d’informations complémentaires, que la nécessité de choisir se démarque du choix aléatoire et devient peu à peu un choix fondé sur des critères. Elle prend appui sur un sens qui émerge progressivement et parvient peu à peu à s’affirmer comme une véritable autonomie. La liberté de choix n’est plus alors un slogan ou une option arbitraire aléatoire : elle devient sous nos yeux une nécessité puis une réalité fonctionnelle. 

    3.3 Les embarras du choix 

    Choisir n'est pas toujours un plaisir. Il est vrai que la nécessité de choisir est exigeante et qu'elle peut même se révéler fortement déstabilisatrice, comme nous l'évoquions plus haut à propos d'élèves parfois si démunis qu'ils ont peur de l'autonomie. Ce comportement est classique et nullement condamnable : les personnes cherchent à éviter les situations et les activités qu'elles perçoivent comme menaçantes. 

    Pour être mise à la portée de l'élève non initié et devenir un atout entre ses mains, la nécessité de choisir doit évidemment être étayée, aussi bien au plan technique qu'au plan psychologique. Et tout le "miracle" de la PMEV est là, le "double miracle" même pourrait-on dire, puisqu’il répond à cette double exigence. 

    Dans la logique de ses options, la PMEV permet d'abord de délivrer chaque jour de nouvelles bribes d'informations venant enrichir les analyses et faciliter l'évolution des représentations des élèves, consolidant et affinant par-là, tant ce travail est inlassablement repris et perfectionné, leur aptitude à choisir en connaissance de cause et à s'engager dans la tâche. 

    Mais s'engager dans la tâche ne va pas de soi pour tous, en particulier pour les élèves qui, ayant parfois déjà intégré une image très négative d'eux-mêmes, relèvent en fait de la rééducation. Sans nier la nécessité d'un tel recours et sans vouloir imposer au maître une charge qui ne relèverait ni de ses compétences ni de ses attributions, la PMEV apporte les ressources de "l'expérience vicariante". 

    3.4 L'expérience vicariante 

    Il s'agit là d'un aspect important de la théorie de l'apprentissage vicariant. L'opportunité de pouvoir observer un individu similaire à soi-même en train d’exécuter une activité donnée devient une source d'information importante influençant la perception d'auto-efficacité, et son impact sur le profil d'un enfant désabusé, en échec marqué, peut se révéler déterminant. Ce processus, la PMEV le favorise, par son organisation propre, de façon en quelque sorte automatique : tel élève qui aurait déjà fortement intégré une image de soi négative pourra soudain découvrir, à la faveur de la prestation d'un camarade auquel il peut se comparer, qu'il aurait pu lui-même se montrer capable de la même prestation. Prise de conscience là encore, changement de la représentation de soi, qu'il reste cependant à consolider. 



    4 La PMEV : une organisation particulière de la classe et du temps 


    L'organisation du travail en PMEV a été largement décrite par ailleurs. Nous nous en tiendrons à quelques rappels et aux grands axes de cette organisation, en insistant sur la fonction spécifique de chacun d’eux et sur leur cohérence avec le schéma d'ensemble. 

    4.1 L'année scolaire 

    L’année est divisée en périodes dont la durée varie avec l’âge des élèves mais qui sont toujours assez longues, l'objectif étant de donner aux élèves en difficulté le temps de venir à bout du programme qui leur a été imposé et qui est le même pour tous. 

    4.2 La journée 

    4.2.1 Travail individuel 

    La journée comprend un temps de travail individuel qui varie lui aussi en fonction de l’âge des élèves, sur la base de travaux décidés par le maître, mais que l'élève peut choisir de traiter à son heure, en fonction de l'évolution de ses représentations, évolution fortement accompagnée par le dispositif spécifique. C'est un temps ou l'élève peut tout aussi bien se confronter seul à une tâche nouvelle que réinvestir une tâche momentanément délaissée, grâce aux acquis d'un moment de bilan. 

    4.2.2 Le moment de Bilan 

    Cette évolution des représentations est en effet stimulée par un moment dit de bilan, qui est un temps fort quotidien de la PMEV et pourrait-on dire son moteur, dédié aux échanges sur le travail en cours, aux prises de repères qui vont permettre de comprendre. Les élèves viennent évoquer leur travail devant l’ensemble de la classe, les plus avancés fournissant ainsi aux autres des indices, des informations, qui vont leur permettre d’effectuer les tâches qui leur étaient inaccessibles au début de la période et qui très souvent le seraient restées dans une progression frontale. Les élèves s’entraînent ainsi chaque jour à analyser et à évaluer chacune des tâches qui leur sont proposées. Cet apprentissage de l’auto-évaluation est capital du point de vue de l'autonomie : il est à la fois une conséquence de cette organisation pédagogique et un moyen d'améliorer les capacités d’apprentissage, qui vont à leur tour renforcer l'organisation pédagogique, dans ce qu'on peut appeler un "cercle vertueux". L’enfant en tire une règle de fonctionnement et de gestion de ses apprentissages qui vont le conduire à l'autonomie que nous recherchons, autonomie d'ordre intellectuel évidemment : q en se consacrant d’abord aux tâches qu’il juge à sa portée et q en recueillant les indices qui vont lui permettre de se mettre à la hauteur des tâches qui ne lui étaient pas initialement accessibles, sans recourir à des interventions magistrales. 

    La PMEV permet ainsi de réguler les parcours des élèves, mais aussi de traiter ce que nous appelons par défaut "manque d'autonomie", manque qui résulte le plus souvent d'un déficit de savoirs et savoir-faire parfois minimes bien que déterminants. L’enseignant n’a que peu d’intervention de nature pédagogique mais il reste vigilant. Il effectue un rigoureux travail de pointage du travail de chaque élève pour s'assurer de la progression de la classe, tout en restant attentif au fonctionnement qualitatif de son dispositif. Un même travail peut être présenté plusieurs fois pendant la période, par exemple à la demande de ceux qui souhaitent des éclaircissements, mais aussi pour répondre à des besoins plus fondamentaux qui relèvent déjà, comme indiqué ci-dessus, d’une forme de "rééducation", sur laquelle il nous paraît utile d'insister un peu. Dans le vécu de la classe au quotidien, le sentiment peut-être ténu et fugitif d'auto-efficacité, subrepticement apparu lors d'un bref moment de bilan et auquel le maître s'efforce d'être attentif, doit être consolidé. La PMEV, par son organisation particulière du travail en périodes longues, va le permettre. Nous allons donner à l'enfant concerné, à l'occasion d'une séance ultérieure de bilan, la possibilité de rejouer lui-même le rôle dont il vient de se sentir capable, et au besoin l'accompagner un peu dans ses efforts de rétablissement. En PMEV, nous nous donnons du temps pour venir à bout des difficultés même lorsque celles-ci ne sont plus exclusivement d'ordre cognitif. Nous acceptons qu'un élève faible vienne présenter une fiche de travail bien qu'elle ait déjà été abordée plusieurs fois. Il ne s'agit pas tant alors de vérifier qu'il a lui aussi intégré la notion abordée, puisque nous avons d'autres moyens de le faire, et il ne s'agit pas non plus de lui offrir un "petit plaisir" en lui permettant de passer à son tour au bilan. Il s'agit déjà en fait pour lui d’une restauration et d’une rééducation, mais dans un schéma qui reste ancré dans le fonctionnement normal de la classe, avec des échanges respectueux mais stimulants, des réactions toujours nécessairement encourageantes, etc.. Il est donc important que le bilan permette de répondre à des questions qu’un élève se pose au sujet d’un exercice qu’il a abordé mais n’a pas su traiter, car c'est à partir de ces éclaircissements qu'il va souvent pouvoir se remettre à la tâche et progresser ou, plus crûment, éviter d'être "lâché". Mais il est tout aussi important que nous allions un peu plus loin, que nous sachions identifier et saisir les occasions qui se présentent d'aider un élève vraiment mal en point à se restaurer, d'autant qu'il peut s'agir d'élèves dont le potentiel intellectuel n'est nullement déficitaire, voire parfois – nous le savons aujourd'hui - supérieur à la moyenne. 

    4.2.3 Les leçons 

    Malgré l'importance que nous attachons au moment de bilan, les leçons ne sont pas absentes du dispositif, mais elles changent un peu de fonction. Elles ont lieu surtout quand le besoin d’une mise au point ou d'une synthèse se fait sentir pour tout ou partie de la classe. Elles sont alors "en prise" sur le fonctionnement en cours de la classe, et leur rendement en est amélioré d'autant. 



    5 Un dispositif porteur, des bénéfices substantiels 


    Nous avons déjà longuement évoqué ces points, mais pouvons les résumer avant de conclure. 

    5.1 Frontal / non frontal 

    L'abandon d’un enseignement frontal est impératif : pour qu’il y ait apprentissage vicariant, il faut que soient en présence, à un instant donné, face à un apprentissage donné, les enfants qui ont déjà maîtrisé cet apprentissage et des enfants qui, le découvrant, vont avoir besoin éventuellement de prendre quelques repères. Mais cet abandon n'est pas une fin en soi. Il est même censé permettre, à terme, un retour éventuel à une progression frontale et permettre déjà, à chaque nouvelle période, de retrouver toute la classe en ordre de marche sur une même ligne de départ 

    5.2 Visibilité, lisibilité, interrogeabilité 

    Il s'agit, autant que faire se peut, de rendre les apprentissages et les savoir-faire visibles, lisibles, interrogeables pour permettre aux élèves déficitaires de reconstituer progressivement leur patrimoine, tant dans le domaine notionnel que dans le domaine comportemental, avec toujours comme objectif l'autonomie. 

    5.3 Etayage, aptitude à l'analyse, discipline 

    Outre ses effets immédiats sur la compréhension et l'apprentissage, le dispositif d'étayage par effet vicariant constitue un exercice permanent d'auto-évaluation formative, un entraînement permanent à l'analyse de la tâche et au développement à plus long terme de cette aptitude caractéristique des élèves efficaces et des adultes autonomes. Mais l'impact du dispositif sur les aspects comportementaux de la vie de la classe est également sensible et souvent presque immédiat. Le fait que les résultats en matière de comportements des enfants soient souvent visibles dès les premiers jours, et qu'ils n'ont pas la durée éphémère des nouveautés, facilite la mise en place de cette organisation de la classe et encourage les maîtres : tous témoignent de la disparition de l’obligation habituelle de faire de la discipline, de l’engagement réel des élèves dans leurs apprentissages et de l’amélioration progressive de l’autonomie de chacun. Les résultats en terme de "niveau général" sont moins immédiats mais l'engagement dans les apprentissages est rapidement significatif, perceptibles souvent dès la première semaine. Tous ces changements sont rapides et fiables et font souvent déclarer aux maîtres qu’ils ont redécouvert leur métier. 



    6 En conclusion 

    Le recours à l’apprentissage vicariant permet l’apprentissage de l’auto-évaluation et celui de la gestion de ses propres apprentissages, qui sont des éléments clés du métier d'élève et d'une meilleure autonomie sur le plan scolaire. Ce fonctionnement permet à la fois de gagner du temps et d'investir pour le futur. En accordant à chacun le temps dont il a besoin pour apprendre - ce qui était l'objectif des pionniers de la pédagogie de maîtrise - il permet - grâce à l'éclairage spécifique du concept d'apprentissage vicariant - que le temps soit effectivement consacré par l’élève à sa tâche d’apprentissage et à la consolidation de son profil d'apprenant efficace, d'élève autonome. 

    Ce gain de temps et d’efficacité chez tous les élèves a un impact sur l’anxiété du maître, amenant chez les élèves une décrispation favorable aux apprentissages. Il permet en outre de redonner toute leur place aux disciplines dites secondaires, avec une chance accrue de pouvoir offrir aux élèves en difficulté des éléments favorables à leur épanouissement et à leur autonomisation.. 

    L’intérêt de cette méthode est indéniable pour tous les enfants, et particulièrement pour ceux qui se trouvent en difficulté parce qu’un enseignement frontal homogène ne leur convient pas. On trouve dans cette catégorie les enfants en retard scolaire mais aussi tous ceux qui ont un profil atypique, et ceux pour lesquels le manque d'autonomie, en empêchant les capacités intellectuelles d’être opérationnelles, pèse souvent d'un poids important.. 

    En leur donnant la possibilité d’une réelle coopération dans la confrontation, la discussion démocratique sur tous les sujets et en particulier sur les sujets du savoir, la PMEV fait que les enfants développent leur liberté d’action dans le travail, et leur propre maîtrise des apprentissages. Le fait que le maître soit discret pendant le bilan, qu’il soit présent mais réservé, leur apprend véritablement à prendre en charge eux-mêmes, au quotidien, la construction de leur savoir. 

    Pour conclure, nous pouvons affirmer que la PMEV n'est pas l'émanation superficielle d'une pensée opportuniste, parce qu'elle s'est définie, comme son nom l'indique, un objectif et des moyens pour l'atteindre. Si elle a pour vocation de former à terme des citoyens autonomes, elle peut reprendre à son compte le mot un peu provocateur de Bernard Shaw, « La liberté, c'est la responsabilité. »,. Ou bien encore ces vers de Goethe « Celui-là seul mérite la liberté et la vie Qui doit chaque jour les conquérir. »

    Jacques Bert, 2004

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  • La Pédagogie de Maîtrise à Effet Vicariant n'est à l'origine qu'une simple application des Instructions Officielles, fondée sur une option négligée de la "réforme des cycles". Ce n'est pas au sens strict une pédagogie, et à la limite rien d'autre qu'une organisation délibérément ergonomique du temps scolaire. Son nom résume sa généalogie : Pédagogie de maîtrise d'une part pour la matrice féconde du courant mastery learning ; à effet vicariant d'autre part en raison d'une paternité dérangeante, quasi illégitime sinon inconnue, peu de gens ayant entendu parler de l'apprentissage vicariant et encore moins de la plus subtile théorie des processus vicariants. Mais la PMEV est née en Nouvelle Calédonie, et ce n'est pas le simple effet du hasard : ce contexte spécifique a constitué un élément déterminant que nous pouvons essayer d'analyser.
    Politiquement, la Nouvelle Calédonie sortait en 90 d'une grave situation de crise enrayée de façon superbement volontariste par les Accords de Matignon. Crise parfois violente, mais moins simpliste ou plus complexe que certains médias ne l'avaient décrite, dont tous les stigmates n'étaient pas effacés mais dont la volonté de triompher restait encore intacte. 

    Dans ce contexte chargé, l'école souffrait de deux maux particuliers: un absentéisme chronique de certains élèves, plus ou moins marqué selon les écoles, qui rendait la tâche des maîtres particulièrement éprouvante ; un certain malaise enseignant, qui ne résultait pas seulement de la difficulté de la tâche mais, de façon plus insidieuse, des critiques adressées au système scolaire ; le tout résultant indiscutablement d'un choc de cultures encore vivace qui n'avait pas dit son dernier mot. 

    Le malaise enseignant

    Si le trouble était assez général dans la population calédonienne après les évènements douloureux des années 80, il prenait chez les enseignants des formes plus spécifiques. 

    Le rendement du système scolaire calédonien, encore très inégalitaire en première lecture si l'on considère les résultats en termes d'ethnies, ne pouvait qu'attirer la critique des observateurs extérieurs. Mais ces critiques, souvent développées hors contexte devant les instances internationales, ne pouvaient à leur tour qu'irriter et blesser les acteurs d'un système qui, compte tenu de la difficulté des problèmes de leur tâche et du sérieux avec lequel la plupart d'entre eux l'abordaient, s'identifiaient à leur fonction.

    Pourtant, rarement conscience professionnelle et conscience politique n'auront été aussi subtilement solidaires que chez les instituteurs rencontrés en Nouvelle Calédonie à cette époque. Phénomène discret mais bien réel, un peu comparable – si tant est que l'on accepte cette comparaison – à l'épisode historique des "hussards noirs". La légende et l'imagerie gratifiante en moins, car plus rares étaient les maîtres qui, en Nouvelle Calédonie, pouvaient se sentir parfaitement maîtres du jeu et professionnellement gratifiés par les résultats de leurs élèves. 

    Sociologues et historiens développeront ces thèses qui, pour nous, se résumeront à un seul constat : une formidable attente de solutions efficaces qui pourraient aider les maîtres à faire face aux difficultés pour reprendre la main dans les situations les plus critiques. Si la PMEV a pu répondre ici à leurs attentes, il n'est pas moins vrai que la PMEV a été portée par ces attentes.


    Le problème de l'absentéisme

    C'était un problème partout préoccupant, très lié à celui du rendement scolaire dont il pouvait être à la fois cause et effet. Si la nécessité et la volonté politique de le résoudre étaient fortes, les solutions habituelles restaient d'usage délicat. Pour mille et une raisons, les pressions administratives habituelles étaient de fait impraticables. On avait même atteint dans certains cas un stade où le retour en classe de quelques éléments consolidés dans l'absentéisme n'irait pas sans poser d'autres problèmes, et la seule solution consistait en un traitement pédagogique énergique mais encore hypothétique qui tenait de la gageure : donner à l'enfant l'envie d'être en classe et lui faciliter le comblement de ses retards.

    Cette situation relativement critique avait cependant le mérite d'être mobilisatrice. Mais si les maîtres étaient prêts à s'engager, encore fallait-il que ce soit sur des perspectives efficaces et peut être audacieuses. La réforme des cycles n'offrait pas de solutions clés en mains, mais elle pouvait contribuer à les rechercher : faire en sorte que l'enfant ait envie d'être en classe, mais sans démagogie ; faire en sorte que le rattrapage des élèves en difficulté se fasse sans trop de problèmes et de surcroît, selon le bon usage administratif, à moyens constants…. Certes, mais comment …? 


    Le choc des cultures

    Il est indéniable que le choc des cultures, source majeure des problèmes que nous avions à traiter, aura également apporté sa part dans la solution des problèmes posés.

    Les colonisateurs avaient rencontré en Nouvelle Calédonie une culture un peu vite classée, au vu de ses outils, comme relevant de l'âge de la pierre, mais socialement avancée. Une culture qui ne connaissait pas l'écriture mais allait s'en emparer à son tour, qui ne connaissait pas davantage l'école mais savait pourtant transmettre ses savoirs, de génération en génération et depuis des siècles.

    Si cette situation complexe ne facilitait pas la tâche des maîtres, elle allait contribuer à l'émergence d'une idée quelque peu iconoclaste puis favoriser un regard différent sur les dysfonctionnements de l'école. En se focalisant de façon trop radicale sur l'enseignement, l'école n'aurait elle pas quelque peu oublié l'apprentissage ? En développant son discours sur l'égalité, n'avait-elle pas sous-estimé des manières d'apprendre qui eussent pu aider d'abord à la mieux construire ? En cherchant à cultiver les Valeurs, s'était-elle bien libérée de préjugés pouvant l'empêcher de les construire ? 

    Sans entrer dans le détail, on retrouvait dans ces questions déviantes bien des apports des sciences de l'éducation, mais surtout une suggestion très marginale du Professeur Maurice Reuchlin dont la PMEV allait progressivement vérifier la pertinence et faire un point d'appui central pour repenser le fonctionnement et l'efficacité de l'école. 
     

     

    Epilogue

    Les situations difficiles, on le sait, ont souvent été porteuses de progrès. Elles constituent la source jamais tarie de tout ce que les hommes ont imaginé au fil des temps pour maîtriser leur destin, ce qu'on appelle généralement la culture. La culture, ou les cultures, car celles ci sont diverses, souvent contrastées ou même parfois opposées. Mais, au delà du choc initial des cultures, apparaît alors une nouvelle vision du monde, et on peut constater que la PMEV le vérifie à son tour. A la mesure certes de ses modestes moyens et dans le cadre un peu restreint du monde de l'enseignement, mais avec un impact en termes d'efficacité des systèmes et de problématique démocratique qui justifiait une diffusion sortant de son cadre initial de référence. 


    Michel Monot, 2004

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  • La PMEV s'est-elle inspirée de la Pédagogie Freinet ?


    La pédagogie Freinet pèse d'un tel poids en France que répondre par la négative n'aurait aucun sens. Il a cependant été nécessaire de mettre la PF entre parenthèses pour concevoir la PMEV, et même en quelque sorte de "tuer le père" comme on dit parfois, et cela pour deux raisons :
    d'abord pour entrer dans la réflexion sur la Pédagogie de Maîtrise, dont l'éclairage est différent sinon contradictoire avec certaines conceptions de la PF ;
    ensuite pour intégrer la prise en compte de l'apprentissage vicariant, que Freinet n'avait pas évoqué parce qu'il n'en avait sans doute jamais entendu parler, ce qu'il faut peut être .regretter.

    Mais, pour passer ensuite de la réflexion théorique à l'action, la PMEV a cette fois "ressuscité" le père. Elle a repris librement des éléments de la pédagogie Freinet qu'elle a souvent du modifier ou réinterpréter, tant au plan pratique qu'au plan théorique.

    Au plan pratique bien sûr, ce qui est important puisque Freinet lui-même se défendait d'être un "maître à penser" et préférait que l'on parle de "techniques Freinet".

    Au plan "théorique" aussi, car l'une des particularités de la PMEV est qu'elle conduit à relire autrement certains apports de Freinet, tout en considérant avec subtilité qu'il ne s'agit pas là d'une trahison mais. d'une autre manière d'être fidèle.

    La formule peut évidemment prêter à rire ou même faire bondir certains, mais la position ne manque quand même pas d'arguments, qu'il faut évoquer :

    On sait que le poids des mots est important, que les vrais synonymes sont rares, chaque mot étant chargé de nuances qui le rendent difficilement interchangeable. C'est justement le cas ici avec la PMEV, qui a du se libérer du poids des mots et presque lever des tabous. L'apprentissage vicariant a quelque chose à voir avec 

    l'imitation, mais l'apprentissage n'est pas l'imitation. L'apprentissage vicariant fait inévitablement penser au copiage quand on en entend parler pour la première fois, mais l'apprentissage vicariant n'est pas non plus le copiage. L'apprentissage vicariant est donc d'une certaine manière en mauvaise compagnie et ce mauvais voisinage a pesé – et pèse encore - sur la prise en compte du problème. On peut pourtant légitimement se poser des questions, se demander ce qui serait arrivé si….

    Que serait-il advenu de la pédagogie Freinet si celui-ci avait connu ou entendu parler l'apprentissage vicariant ? Aurait-il vu là un nouveau chapitre, LE meilleur peut être, de sa croisade contre la Scholastique ? Aurait-il alors prôné de façon aussi insistante la créativité par le texte libre ou le dessin libre, condamnant ainsi plus ou moins implicitement tout ce qui relève de l'imitation ?

    Nous n'avons pas de réponse à ces questions un peu gratuites, mais nous savons que nombre d'objections adressées à la pédagogie Freinet seraient tombées. Car on aurait mieux interprété la consigne jugée laxiste et si ambiguë de laisser l'enfant libre de choisir son travail, dans laquelle la PMEV voit seulement aujourd'hui la liberté de choisir le moment d'aborder sa tâche, au terme d'un fructueux travail d'analyse dont elle s'attache à créer les conditions pour développer une aptitude fondamentale du métier d'élève. Car on aurait interprété de manière moins exclusive le fructueux concept de "tâtonnement expérimental", dont on peut retrouver la trace et l'efficacité dans l'apprentissage vicariant.



    Qu'est-ce qui différencie la PMEV de la Pédagogie Freinet ?

    La PF n'étant pas quelque chose d'uniforme et de figé, et la PMEV n'étant pas non plus codifiée de manière stricte, la question appelle une réponse prudente.

    Prenons l'exemple délibérément polémique mais commode du "rendement scolaire". Si nous parlons de "rendement" devant certains partisans de Freinet (nous ne disons pas "tous"), nous risquons de nous faire écorcher vif, alors que Freinet avait bien une idée en tête lorsqu'il a emprunté aux américains et adapté les fichiers de Winnetka, ou encore lorsqu'il a choisi le nom de sa "bibliothèque de travail" et le logo du forgeron qui la symbolise si bien. Et que dire de cet invariant où il affirme que l'enfant préfère le travail au jeu….

    Mais ne nous dérobons pas : même s'il vaut mieux parler de particularités que de différences, la PMEV assume les siennes sans provocation.

    Tous au collège et si possible plus loin encore, tel est la consigne aujourd'hui, bien malmenée d'ailleurs, une contrainte que Freinet n'avait pas connue et qu'il faut désormais assumer. Pour l'école élémentaire, il ne s'agit plus tant de préparer les enfants à la vie active qu'aux activités très spécifiques du collégien et futur lycéen, ce qui est une des ambitions de la PMEV

    Mais un problème surgit d'emblée. Si la PF a réussi à l'école élémentaire, pourquoi ne réussirait-elle pas non plus au collège et au-delà, ce dont certains ont déjà fait la démonstration et que d'ailleurs les Instructions Officielles elles même avaient prévu avec les "Classes de Transition"

    Sans exclure l'idée que la PF puisse se révéler utile même au collège, il apparaît nécessaire de ne pas s'enfermer dans cette hypothèse, et de travailler aussi sur une autre hypothèse, celle d'un modèle scolaire plus orienté vers les exigences du collège, en particulier sur les compétences très spécifiques du métier d'élève.

    Le même programme pour tous, est devenu un impératif, ce qui relativise le "plan de travail individuel" négocié avec le maître cher à la PF. Sans vraiment rompre avec Freinet puisque l'apprentissage vicariant est quelque chose de "naturel", la PMEV repense le problème : elle ne nie pas les différences mais elle perçoit un danger à les surestimer ; elle étayera les apprentissages mais uniformisera les contenus, l'étayage permettant de favoriser des progressions individuelles qui sans cela seraient restées moins ambitieuses, et permettant surtout de développer les compétences transversales dont une qui lui semble très importante bien que ne figurant pas clairement dans les compétences officielles énumérées par les Instructions OFFICIELLES : l'aptitude à l'analyse de la tâche, qui est la compétence la plus caractéristique du "bon élève", et donc plus généralement du "métier" d'élève.


    La PMEV peut-elle être appliquée à l'école Maternelle ?

    On pourrait presque dire que l'école maternelle fait depuis longtemps de la PMEV sans le savoir car les processus d'apprentissage vicariant y sont moins arbitrairement bridés qu'ils l'ont été dans le primaire. Mais, la notion de "programme" y étant plus relative, le concept de "pédagogie de maîtrise" ne paraîtrait peut être pas très bien adapté pour parler de l'école maternelle.

    Quoi qu'il en soit, le problème de la PMEV en maternelle ne se posait à l'origine même pas puisque le raisonnement était un peu le suivant : l'école maternelle pouvant être considérée comme l'une des meilleures du monde et donc quasi parfaite, comment pourrait-on en adapter le modèle pour l'école élémentaire sans dénaturer celle-ci, et donc dans le respect des ses programmes propres.

    Mais lorsque les institutrices d'école maternelle ont pu voir ce que l'école primaire avait fait de leur modèle, elles ont bénéficié d'un "feed-back" qui leur a paru potentiellement constructif et partiellement réinvestissable à leur niveau en vue d'une meilleure autonomie de l'enfant comme élève en puissance. On a ainsi pu voir apparaître des plans de travail destinés à apprendre aux enfants à gérer une partie de leur temps, en même temps qu'une ébauche d'étayage destinée à entraîner à l'analyse des tâches et par-là favorables à leur compréhension et à un développement langagier dans un registre un peu inhabituel mais néanmoins précieux.

    La PMEV peut-elle être appliquée dans l'enseignement secondaire ?

    Très certainement et elle l'a d'ailleurs été, dans l'enseignement de l'anglais, sous une forme directement inspirée du "modèle" élémentaire que des professeurs avaient demandé à venir observer, et cela pour faciliter l'apprentissage de l'anglais à des élèves maîtrisant mal le français. D'autres possibilités existent, y compris pour certaines classes de seconde, mais la difficulté, dans l'enseignement secondaire, est de pouvoir résoudre certaines contraintes d'emploi du temps. Actuellement, notre recherche ou nos préoccupations nous portent moins dans cette direction que dans la possibilité d'envoyer au collège des élèves bien préparés à s'y adapter.


    Pourquoi la PMEV n'est-elle pas plus connue ?

    Il est difficile de le savoir mais nous sommes tout aussi étonnés de voir que la PMEV, à l'origine simple application de la politique des cycles, commence à être déjà assez connue. La raison en est qu'elle répond à un besoin, à une demande, qui n'a pas encore été totalement satisfaite, ce qui peut laisser penser que sa progression n'est pas terminée.

    La PMEV s'est diffusée initialement grâce à Internet, et il n'y a là rien d'autre qu'une coïncidence dans le temps. La logique administrative aurait fait pencher pour une information plus classique par les canaux administratifs habituels, d'autant que les Instructions de 89 avaient bien précisé que certaines formules – et la PMEV entrait dans ce cadre - pouvaient faire l'objet d'expérimentations mais devaient alors être évaluées. Or, sur cette option spécifique qui aurait mérité un suivi attentif, ou tout au moins une sorte de "veille technologique", il n'y a pas eu à notre connaissance d'évaluation générale digne de ce nom. Il y eu tout au plus le suivi classique de l'Inspection Générale mais celui-ci, dans le cas de la PMEV, a d'emblée été biaisé, pour des raisons compréhensibles même si elles sont regrettables

    L'expérience de Nouvelle Calédonie n'était pourtant rien d'autre qu'une banale application de la réforme des cycles, centrée sur une option il est vrai un peu particulière mais très officielle. Elle était donc "normale" et n'avait fait l'objet d'aucune promotion particulière, mais elle n'avait cependant pas pu échapper à la "rumeur" : le "bouche à oreille" spontané avait attiré des visiteurs venant d'autres circonscriptions et cela finit par provoquer des réactions de rejet et de suspicion. On parla de "gourou" et le terme fut même repris par un Inspecteur Général lors de sa visite, au moins oralement. L'Inspecteur Général trouva certes l'institutrice de la première classe expérimentale "exceptionnelle", mais il ne posa pas de questions sur la méthode utilisée et conseilla la prudence. Il le fit même par écrit, ce qui était dans la droite ligne de ses attributions et compréhensible dans le contexte effectivement sensible de la Nouvelle Calédonie. Furent alors plus ou moins officiellement censurés des stages programmés sur la gestion de l'hétérogénéité, et même interdit l'accès aux résultats de l'évaluation en sixième. Le contexte sensible de la Nouvelle Calédonie pouvait expliquer bien des choses, mais il aurait pu tout aussi bien justifier une évaluation en bonne et due forme.



    Combien d'enseignants pratiquent-ils la PMEV actuellement ?

    Nous n'en savons rien et n'avons jamais cherché à le savoir. Nous diffusons une information, essayons de répondre à ceux qui posent des questions techniques, sans souci de nous compter.



    Le travail en groupes est-il utilisé en PMEV ?

    Nous préférons dire qu'il est utilisé par des maîtres pratiquant la PMEV. Il pourrait évidemment relever au sens très large d'un éclairage PMEV, puisque le travail en groupes vise lui aussi à améliorer la maîtrise des programmes et qu'il fait implicitement une certaine place à l'apprentissage vicariant. Mais nous préférons limiter la PMEV, telle que nous l'avons définie, à une pratique assez précise qui recherche une mise en œuvre méthodique des possibilités de l'apprentissage vicariant, mais qui est également volontairement limitée dans le temps. Notre ambition n'est pas de tout régenter ou de nous poser en contre-pouvoir : elle est d'aider le maître à reprendre la gestion de sa classe sur de meilleures bases, et à lui permettre par-là la possibilité de donner sa pleine mesure, qu'il ait ou non-recours au travail en groupes.

    Vous parlez " d'ergonomie " et de " rendement " : ne trouvez-vous pas ces termes un peu trop proches du vocabulaire d'entreprise ?


    Nous n'avons dans ce domaine aucune arrière-pensée. Les références au monde de l'entreprise sont évidemment gênantes, mais il ne faut pas non plus entretenir d'ambiguïtés douteuses ou de tabous. Quand nous parlons de "rendement solaire", nous pensons évidemment "rendement humain", nous pensons "efficacité des apprentissages" en sachant que l'échec scolaire n'est quand même pas une situation enviable pour ceux qui en sont victimes.

    Quant à l'ergonomie, c'est un terme un peu technique et donc un peu barbare, qui inclut certes l'idée de rendement, dont nous avons dit ce que nous pensons, mais aussi le souci du confort. Ergonomie du métier d'élève, ergonomie du métier d'enseignant, pourquoi ne pas appeler les choses par leur nom au lieu de rester dans un flou préjudiciable à l'analyse des difficultés. Ce sont là des choses que certains enseignants peuvent ne pas comprendre spontanément, mais dont ils admettent ensuite qu'elles peuvent tout changer. Quant à l'Administration, que l'on dit peu soucieuse du problème, nul doute qu'elle y viendra aussi et qu'il existe des cas où elle a déjà jalonné le chemin. Nous nous situons dans cette mouvance avec beaucoup de modestie, et nos réussites ont d'abord été mal reçues car mal comprises, mais ce ne sont là que des avatars communs.

    Par Michel Monot, 2005



    BIBLIOGRAPHIE

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    BOUCHET (H.), L'individualisation de l'enseignement, Paris, PUF, 1933

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    FAURE (P.), Un enseignement personnalisé et communautaire, Tournai, Casterman, 1979

    GAONAC'H (D.), Manuel de psychologie pour l'enseignement, Paris, Hachette, 1995

    HUBERMAN (M.) et all., Assurer la réussite des apprentissages scolaires ? Les propositions de la Pédagogie de Maîtrise, Genève, Delachaux et Nestlé, 1988

    MOUGNIOTTE (A.), La Pratique Personnelle de l'Enfant, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 1993

    NOT (L.), Les pédagogies de la connaissance, Toulouse, Privat, 1979

    REUCHLIN (M.), Psychologie, Paris, PUF, 1985

    VIAL (J.), Vers une pédagogie de la personne, Paris, PUF, 1975

    WYNNIKAMEN (F.), Apprendre en imitant ?, Paris, PUF, Collection " Psychologie d'aujourd'hui ", 1990


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