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Par 0fote le 16 Avril 2013 à 13:30
4.1 – L'ÉDUCATION A L'AUTONOMIE
par Jacques Bert et Michel Monot, 2005
L'un des objectifs essentiels de l'Ecole de la République, qui s'érige aujourd'hui en école de la démocratie, est de former des citoyens autonomes et responsables, aptes à assumer eux-mêmes, individuellement ou collectivement, leur destin. L'objectif est ambitieux, mais il nous concerne tous et nous devons nous y consacrer.
Si l'on part du constat que l'autonomie n'est pas innée, qu'on ne peut pas davantage la décréter, qu'elle se construit tout au long de l'enfance et de l'adolescence, et si l'on ajoute à cela que certains élèves, parfaitement autonomes dans la vie, ne le sont plus du tout en milieu scolaire, il faut se faire une raison et lever toute ambiguïté : l'autonomie de l'enfant ou de l'adolescent en milieu scolaire, écolier ou collégien, fait clairement partie de la tâche qui incombe aux enseignants.. L'autonomie que nous visons, peut-être utopique pour certains, est la capacité de s'approprier soi-même de nouvelles connaissances, d'abord à l'école puis pendant toute sa vie.
Il parait d'abord nécessaire de sortir des lieux communs, de compléter les analyses classiques des problèmes de l'école par quelques observations simples dont la prise en compte peut s'avérer d'un grand secours.
QUELQUES OBSERVATIONS
du côté des élèves
Mauvais élèves ?
On sait qu'un certain nombre d'élèves sont en échec parce qu'il rejettent une pédagogie frontale qui veut imposer à tous le même rythme et le même mode d'apprentissage.. Pour ces élèves, il faut proposer une alternative à la pédagogie frontale traditionnelle, sous la forme d'une pédagogie individualisée qui donne à chacun le temps qu'il lui faut pour apprendre et lui laisse le choix du mode d'apprentissage.
Mais on sait aussi qu'au même moment, dans la même classe, on peut trouver d'autres enfants en difficulté qui, eux, redoutent, au contraire, d'être confrontés à des situations de travail autonome car elles nécessitent des ressources personnelles qu'ils sont loin d'avoir acquises. Cette situation complexe, propre à alimenter les polémiques dans le monde enseignant est lourde, en tout cas, de contradictions qui peuvent paraître inconciliables.
et bons élèves :
Les "bons élèves" ne sont pas tant, comme on pourrait le croire en première approche, des élèves "sages comme des images" qui répondent juste à tous les coups…. A observer longuement leur comportement dans des classes très diverses, on découvre surtout des élèves qui ne répondent pas au hasard. Ils savent ou ils ne savent pas, mais " ils savent qu'ils savent ou qu'ils ne savent pas ", d'où un comportement assez caractéristique : ils répondent quand ils pensent avoir la réponse mais s'abstiennent quand ils ont des doutes.
Ce comportement spécifique, signe de compétence et d'autonomie, doit souvent beaucoup à l'éducation familiale, mais l'école peut aussi et doit y prendre sa part, ce qui pose de manière aiguë le problème de l'efficacité des apprentissages et des méthodes pédagogiques. En termes d'efficacité des apprentissages, toutes les méthodes ne se valent pas, et c'est encore plus vrai pour ce qui concerne l'autonomie de l'apprenant, qu'il soit écolier ou collégien.
Du côté du "système"
Il y aurait beaucoup à dire mais nous serons très brefs.
Temps officiel, temps appliqué, temps investi
Les différences entre les horaires officiels et les horaires appliqués ne sont rien au regard des variations constatées dans le temps effectivement investi par l'élève dans sa tâche, variations qui posent là encore le problème des méthodes pédagogiques. Le problème est complexe, difficile à aborder car on pourrait croire qu'il met en cause le principe sacré de la liberté pédagogique, liberté indispensable dans une profession qui exige un investissement personnel de qualité. Mais il n'est pas pour autant insoluble, et les enseignants qui ont adopté les démarches de la PMEV pour tenter de résoudre ce délicat problème de "temps investi" admettent que leur liberté n'est nullement remise en cause et qu'elle n'a même jamais été aussi grande .
Le difficile contrôle des horaires
Le contrôle des horaires appliqués et du respect des programmes, tâche traditionnelle mais non unique des corps d'inspection, a parfois été mis en cause, au nom notamment de la grande diversité des situations ou des différences de rythmes d'apprentissage. Les maîtres pratiquant la PMEV, non moins soucieux que d'autres de l'importance des enjeux et de leur propre efficacité professionnelle, sont confrontés, par leur pratique, à une difficulté plus grande de contrôle des horaires appliqués. Mais ils tiennent, sans malice, le raisonnement suivant : si l'horaire préconisé dans une discipline autorise un volume d'apprentissage déterminé, et que ce volume d'apprentissage a été atteint, c'est que le dit horaire a été appliqué ou, du moins, l'intention du législateur respectée.
Vers une solution ?
La PMEV n'a pas cherché à innover, même s'il est vrai qu'elle peut surprendre. Elle n'abandonne la conduite frontale de la classe que pour mieux retrouver, dans la durée, une progression relativement frontale de la classe. Elle ne met les élèves en autonomie que pour mieux apporter à ceux qui en seraient déstabilisés des éléments propres à les sécuriser et à étayer leur progression.
Observer et comprendre ce qui se passe dans les apprentissages, comme le prescrivaient les Instructions Officielles de 1989, c'est parfois découvrir qu'un enfant s'est sorti d'affaire tout seul, comme un être déjà autonome. C'est admettre qu'il était le mieux placé et déjà suffisamment aguerri pour comprendre sa situation et se repositionner de lui-même. Ces prises de conscience spontanées sont assez fréquentes en PMEV, du fait d'un mode de fonctionnement particulier qui privilégie l'étayage plutôt que la guidance, et ces mots n'ont évidemment pas le même sens, l'un tendant vers la liberté et l'autre, dans les conceptions généreuses mais excessives que l'on en rencontre parfois, vers un dangereux assistanat.
VERS L'AUTONOMIE
Les diverses options pédagogiques de la PMEV, adoptées pour faciliter la maîtrise des apprentissages essentiels du "métier" d'élève en tant que préalables à l'autonomie future de l'adulte, ont effectivement permis de mettre en œuvre des processus dont les effets à plus long terme ont pu paraître inattendus mais en tout état de cause prometteurs.
Des raisons techniques, inhérentes à cette option "vicariance", imposaient de laisser l'enfant choisir sa tâche. Cette nécessité a permis de préciser et d'activer ce qui est sans doute un des meilleurs atouts de la PMEV.
Le plaisir du choix
Pouvoir choisir est, pour le plus grand nombre, synonyme de plaisir. Le plaisir du choix favorise donc l'acceptation de la contrainte scolaire et l'engagement de l'élève dans sa tâche, ce qui est déjà beaucoup, mais le plus important est ailleurs, dans une perspective ouverte en matière de "profil scolaire" qui autorise à parler de "construction d'un profil de bon élève".
La nécessité du choix
Sans prétendre à l'exclusivité, la PMEV propose à ce sujet une approche originale fondée sur la nécessité du choix. Pour choisir, l'élève doit d'abord se représenter la tâche à effectuer, l'analyser, faire le tri entre ce qu'il peut et ne peut pas encore faire, travail exigeant mais hautement formateur, qui peut surtout être enseigné. C'est dans la mesure où le dispositif particulier de la PMEV apporte chaque jour son petit lot d'informations complémentaires, que la nécessité de choisir se démarque du choix aléatoire et devient peu à peu un choix raisonné fondé sur des critères. Elle prend appui sur un sens qui émerge progressivement et parvient peu à peu à s'affirmer comme une véritable capacité à choisir, une compétence précieuse génératrice d'autonomie scolaire.. La liberté de choix n'est plus alors un slogan ou une option arbitraire aléatoire : elle devient sous nos yeux une nécessité puis une réalité fonctionnelle.
Les embarras du choix
Choisir n'est pas toujours un plaisir. Il est vrai que la nécessité de choisir est exigeante et qu'elle peut même se révéler fortement déstabilisatrice, comme nous l'évoquions plus haut à propos d'élèves parfois si démunis qu'ils ont peur de l'autonomie. Ce comportement est classique et nullement condamnable : les personnes cherchent à éviter les situations et les activités qu'elles perçoivent comme menaçantes. Ce qui serait moins acceptable, c'est que le manque d'autonomie de ces élèves serve d'alibi à un statu-quo qui les figerait dans un statut d'élève médiocre alors qu'il est possible de les en sortir.
Pour être mise à la portée de l'élève non initié et devenir un atout entre ses mains, la nécessité de choisir doit évidemment être étayée, aussi bien au plan technique qu'au plan psychologique. Et tout le "miracle" de la PMEV est là, le "double miracle" même pourrait-on dire, puisqu'il répond à cette double exigence.
Dans la logique de ses options, la PMEV permet d'abord de délivrer chaque jour de nouvelles bribes d'informations venant enrichir les analyses et faciliter l'évolution des représentations des élèves, consolidant et affinant par-là, tant ce travail est inlassablement repris et perfectionné, leur aptitude à choisir en connaissance de cause et à s'engager dans la tâche.
Mais s'engager dans la tâche ne va pas de soi pour tous, en particulier pour les élèves qui, ayant parfois déjà intégré une image très négative d'eux-mêmes, relèvent en fait de la rééducation. Sans nier la nécessité d'un tel recours et sans vouloir imposer au maître une charge qui ne relèverait ni de ses compétences ni de ses attributions, la PMEV apporte les ressources de "l'expérience vicariante".
L'expérience vicariante Il s'agit là d'un aspect important de la théorie de l'apprentissage vicariant. L'opportunité de pouvoir observer un individu similaire à soi-même en train d'exécuter une activité donnée devient une source d'information importante influençant la perception d'auto-efficacité, et son impact sur le profil d'un enfant désabusé, en échec marqué, peut se révéler déterminant. Ce processus, la PMEV le favorise, par son organisation propre, de façon en quelque sorte automatique : tel élève qui aurait déjà fortement intégré une image de soi négative pourra soudain découvrir, à la faveur de la prestation d'un camarade auquel il peut se comparer, qu'il aurait pu lui-même se montrer capable de la même prestation. Prise de conscience là encore, amélioration de la représentation de soi, qu'il reste cependant à consolider.
Le moment de bilan est un temps fort quotidien de la PMEV et pourrait-on dire son moteur, dédié aux échanges sur le travail en cours, aux prises de repères qui vont permettre de comprendre, les plus avancés fournissant aux autres des indices, des informations, qui vont leur permettre d'effectuer les tâches qui leur étaient inaccessibles au début de la période et qui très souvent le seraient restées dans une progression frontale. Les élèves s'entraînent ainsi chaque jour à analyser et à évaluer chacune des tâches qui leur sont proposées. Cet apprentissage de l'auto-évaluation est capital du point de vue de l'autonomie : il est à la fois une conséquence de cette organisation pédagogique et un moyen d'améliorer les capacités d'apprentissage, qui vont à leur tour renforcer l'organisation pédagogique, dans ce qu'on peut appeler un "cercle vertueux". L'enfant en tire une règle de fonctionnement et de gestion de ses apprentissages qui vont le conduire à l'autonomie que nous recherchons, autonomie d'ordre intellectuel évidemment :
1 - en se consacrant d'abord aux tâches qu'il juge à sa portée et
2 - en recueillant les indices qui vont lui permettre de se mettre à la hauteur des tâches qui ne lui étaient pas initialement accessibles, sans recourir à des interventions magistrales.
La PMEV permet ainsi de réguler les parcours des élèves, mais aussi de traiter ce que nous appelons faute de mieux "manque d'autonomie", manque qui résulte le plus souvent d'un déficit de savoirs et savoir-faire parfois minimes et pourtant déterminants, que la conception traditionnelle des séquences d'apprentissage ne permet pas de prendre réellement en compte.
Un même travail peut être présenté plusieurs fois pendant la période, par exemple à la demande de ceux qui souhaitent des éclaircissements, mais aussi pour répondre à des besoins plus fondamentaux qui relèvent d'une forme de "rééducation", sur laquelle il nous paraît utile d'insister un peu.
Dans le vécu de la classe au quotidien, le sentiment peut-être ténu et fugitif d'auto-efficacité, subrepticement apparu lors d'un bref moment de bilan et auquel le maître s'efforce d'être attentif, doit être consolidé. La PMEV, par son organisation particulière du travail en périodes longues, va le permettre. Nous allons donner à l'enfant concerné, à l'occasion d'une séance ultérieure de bilan, la possibilité de rejouer lui-même le rôle dont il vient de se sentir capable, et au besoin l'accompagner un peu dans ses efforts de rétablissement. En PMEV, nous nous donnons du temps pour venir à bout des difficultés même lorsque celles-ci ne sont plus exclusivement d'ordre cognitif. Nous acceptons qu'un élève faible vienne présenter une fiche de travail bien qu'elle ait déjà été abordée plusieurs fois. Il ne s'agit pas tant alors de vérifier qu'il a lui aussi intégré la notion abordée, puisque nous avons d'autres moyens de le faire, et il ne s'agit pas non plus de lui offrir un "petit plaisir" en lui permettant de passer à son tour au bilan. Il s'agit déjà en fait pour lui d'une restauration narcissique et d'une rééducation, mais dans un schéma qui reste ancré dans le fonctionnement normal de la classe, avec des échanges respectueux mais stimulants, des réactions toujours nécessairement encourageantes, etc..
Il est donc important que le bilan permette de répondre à des questions qu'un élève se pose au sujet d'un exercice qu'il a abordé mais n'a pas su traiter, car c'est à partir de ces éclaircissements qu'il va souvent pouvoir se remettre à la tâche et progresser ou, plus crûment, éviter d'être "lâché". Mais il est tout aussi important que nous allions un peu plus loin, que nous sachions identifier et saisir les occasions qui se présentent d'aider un élève vraiment mal en point à se restaurer, d'autant qu'il peut s'agir d'élèves dont le potentiel intellectuel n'est nullement déficitaire, voire parfois – nous le savons aujourd'hui - supérieur à la moyenne.
POINTS FORTS
Avant de conclure, nous pouvons rappeler les points forts de la méthode au regard de la conquête par les élèves de leur autonomie :
Visibilité, lisibilité, interrogeabilité
Il s'agit, autant que faire se peut, de rendre les apprentissages et les savoir-faire visibles, lisibles, interrogeables pour permettre aux élèves déficitaires de reconstituer progressivement leur patrimoine, tant dans le domaine notionnel que dans le domaine comportemental, avec toujours comme objectif l'autonomie.
Etayage, aptitude à l'analyse, discipline Outre ses effets immédiats sur la compréhension et l'apprentissage, le dispositif d'étayage par effet vicariant constitue un exercice permanent d'auto-évaluation formative, un entraînement permanent à l'analyse de la tâche et au développement à plus long terme de cette aptitude caractéristique des élèves efficaces et des adultes autonomes.
Mais l'impact du dispositif sur les aspects comportementaux de la vie de la classe est également sensible et souvent presque immédiat.
Le fait que les résultats en matière de comportements des enfants soient souvent visibles dès les premiers jours, et qu'ils n'ont pas la durée éphémère des nouveautés, facilite la mise en place de cette organisation de la classe et encourage les maîtres : tous témoignent de la disparition de l'obligation habituelle de faire de la discipline, de l'engagement réel des élèves dans leurs apprentissages et de l'amélioration progressive de l'autonomie de chacun.
EN CONCLUSION Le recours à l'apprentissage vicariant permet l'apprentissage de l'auto-évaluation et celui de la gestion de ses propres apprentissages, qui sont des éléments clés du métier d'élève et d'une meilleure autonomie sur le plan scolaire. Ce fonctionnement permet à la fois de gagner du temps et d'investir pour le futur. En accordant à chacun le temps dont il a besoin pour apprendre - ce qui était l'objectif des pionniers de la pédagogie de maîtrise - il permet - grâce à l'éclairage spécifique du concept d'apprentissage vicariant - que le temps soit effectivement consacré par l'élève à sa tâche d'apprentissage et à la consolidation de son profil d'apprenant efficace, d'élève autonome.
Ce gain de temps et d'efficacité chez tous les élèves a un impact sur l'anxiété du maître, amenant chez les élèves une décrispation favorable aux apprentissages. Il permet en outre d'offrir aux élèves en difficulté des éléments favorables à leur épanouissement et à leur autonomisation..
L'intérêt de cette méthode est indéniable pour tous les enfants, et particulièrement pour ceux qui se trouvent en difficulté parce qu'un enseignement frontal homogène ne leur convient pas. On trouve dans cette catégorie les enfants en retard scolaire mais aussi tous ceux qui ont un profil atypique, et ceux pour lesquels le manque d'autonomie, en empêchant les capacités intellectuelles d'être opérationnelles, pèse souvent d'un poids important..
En leur donnant la possibilité d'une réelle coopération dans la confrontation, la discussion démocratique sur tous les sujets et en particulier sur les sujets du savoir, puis la possibilité d'un réinvestissement dans des moments de travail personnel, la PMEV fait que les enfants développent leur liberté d'action dans le travail, et leur propre maîtrise des apprentissages. Le fait que le maître soit discret pendant le bilan, qu'il soit présent mais réservé, leur apprend véritablement à prendre en charge eux-mêmes, au quotidien, la construction de leur savoir.
4.2 – LA GESTION DE L'HÉTÉROGÉNÉITÉ
QUELLE HÉTÉROGÉNÉITÉ ?
Dans un rapport de l'Inspection Générale de l'Education Nationale, remis au Ministre en mars 2000, Alain Boissinot, inspecteur général, écrit que même si l'on restreint la notion d'hétérogénéité à celle qui existe entre les élèves au sein d'une même classe, telle qu'elle est perçue par les enseignants, celle-ci reste ambiguë. " Elle peut désigner l'hétérogénéité des performances des élèves, telles que le dispositif d'évaluation conçu par la Direction de l'Evaluation et de la Prospective essaie de les analyser. Mais la notion d'hétérogénéité renvoie aussi, plus largement à un sentiment diffus exprimé par les professeurs, et qui est en fait le symptôme d'une difficulté à enseigner. Or il est difficile, à ce sujet de faire la part entre la réalité identifiable et une sorte de fantasme dont l'histoire du système éducatif montre qu'il a existé de tout temps. Même à une époque où il y avait dans une classe d'âge moins de 5% de bacheliers, certains enseignants prenaient la plume pour dénoncer l'hétérogénéité inacceptable de leur public ! " Il écrit un peu plus loin : " Des travaux comme ceux de l'Institut de Recherche sur l'Economie de l'Education (IREDU) ont montré que, contrairement aux croyances de beaucoup d'enseignants, les classes homogènes n'étaient pas celles où les élèves progressaient le plus. Au contraire l'hétérogénéité crée les conditions permettant aux élèves le plus en difficulté de progresser sans pénaliser de façon significative les plus doués. Les stratégies d'évitement de l'hétérogénéité ne constituent donc pas la bonne solution. "
Si l'on admet que les élèves sont différents par leurs acquis, leur comportement, leur rythme de travail, leurs intérêts, et leur profil pédagogique, il faut admettre que l'enseignant, face à cette situation hétérogène, ne peut apporter qu'une réponse hétérogène.
QUELLE DIFFÉRENCIATION ?
En 1995, dans le N° 34 de la revue " Rencontres pédagogiques ", publié par l'INRP, on trouve un article intitulé " La gestion de l'hétérogénéité ", dans lequel on peut lire ceci : " Avant toute chose, il convient de rappeler une évidence : toute classe est par nature hétérogène. Hétérogénéité :
des sexes, depuis trente ans dans le primaire, près de 40 ans dans le secondaire,
des âges, y compris au sein de la même année civile : que de différences, de maturités notamment, entre les élèves nés en début d'année et ceux nés au dernier trimestre toujours les plus nombreux, à tous les niveaux du cursus scolaire, parmi des élèves en difficulté (pris en charge par le RASED, maintenus dans le cycle et redoublants, " orientés " vers des structures spécialisées...)
des appétences scolaires et des motivations liées entre autres, aux espoirs placés dans l'école pour réaliser son projet personnel,
des compétences et savoir-faire dans les différents domaines de connaissance ainsi que dans les processus d'apprentissage,
des cultures et modes de vie en liaison avec les diverses représentations de la société générées par l'appartenance familiale et sociale.
À partir de ce constat, la première réponse a été de considérer ces différences comme des obstacles à l'enseignement, des déficits, des déviances, des déficiences voire des handicaps par rapport à l'élève-type mythique, avec pour corollaire la recherche de l'homogénéité, quête toujours renouvelée mais jamais satisfaite.
L'exigence accrue de démocratisation des études et le refus de tous les déterminismes menant à la "reproduction" conceptualisée par Bourdieu ont conduit alors nombre d'enseignants à "faire leur deuil des certitudes didactiques", comme l'écrit Philippe Perrenoud, et donc à reconsidérer positivement les différences.
Différencier sa Pédagogie s'est donc s'efforcer de " tirer le meilleur parti des possibilités de groupement et d'interaction " entre élèves en "jonglant avec les contraintes de temps et d'espace" puisque, selon Halina Przesmycki , la pédagogie différenciée se définit comme :
"une pédagogie individualisée" qui reconnaît l'élève comme une personne "ayant ses représentations propres de la situation de formation" (au sens large du terme )
"une pédagogie variée qui propose un éventail de démarche" selon des rythmes d'apprentissage différents, dans des durées variables, par des itinéraires diversifiés, sur des supports différents et dans des situations non identiques.
Quatre pistes s'ouvrent alors dans la pratique : différenciation par les procédures, différenciation par les ressources disponibles et les contraintes imposées, différenciation par les rôles, différenciation par la tâche :
Différenciation par la tâche : mise en place d'ateliers qui peuvent être des ateliers de soutien, de choix, de besoin, d'entraînement, ou d'approfondissement.
Différenciation par les rôles : les élèves jouent des rôles différents. Les compétences variant selon les rôles, on répartira donc les élèves en tenant compte des compétences et des besoins d'apprentissage de chacun.
Différenciation par les ressources disponibles et les contraintes imposées : pour l'enseignant, il s'agit d'adapter la situation de référence, qui est la même pour tous, aux capacités et aux besoins d'apprentissage actuels des élèves en choisissant soigneusement les valeurs données à certaines variables de la situation : ressources disponibles, contraintes imposées (temps d'exécution, support, nature de la production orale ou écrite).
Différenciation par les procédures : pour l'enseignant il s'agit d'accepter, de valoriser, le fait que, dans certaines activités, chacun trouve sa propre solution, avec ses propres procédures, sans que soit établie une hiérarchie entre celles qui sont apparues dans la classe.
L'idée de mise en commun, d'échanges, de débat se substitue alors à celle de correction dans laquelle une seule réponse, magistrale, est attendue, et une seule bonne réponse recopiée. La mise en commun peut être l'occasion d'analyser certaines erreurs, de distinguer, par exemple, avec les élèves :
celles qui sont le signe d'une mauvaise interprétation de la situation
celles qui révèlent une mauvaise gestion d'une solution par ailleurs viable
celles qui traduisent des erreurs d'exécution (de calcul par exemple). "
LES PRATIQUES
Quant à l'idée qu'on peut se faire de la gestion de l'hétérogénéité telle qu'elle se révèle sur le terrain, Michel Monot a pu, au cours de sa carrière d'Inspecteur de circonscription, analyser de nombreux aspects de la pratique enseignante. Voici ce qu'il en écrit : " La gestion des classes hétérogènes, qui est difficile, peut prendre plusieurs orientations. En simplifiant quelque peu, on trouve deux grandes tendances : travail axé plutôt sur les forts, ou travail axé sur les faibles, chaque formule ayant ses avantages et ses limites. Mais l'analyse attentive de ces deux orientations permettra d'en suggérer une troisième.
1 – Travail axé sur les forts
Si le travail est axé sur les forts, les écarts entre élèves se creusent Lorsque le maître organise son travail en fonction des élèves forts, ceux-ci progressent, mais le risque est que les faibles en profitent peu et tendent à végéter. Ce risque réel conduit à porter sur les classes qui fonctionnent ainsi, au nom de l'égalité des chances, un regard critique qui est cependant loin d'être entièrement justifié.
L'habileté de l'enseignant à tirer parti des "locomotives" tempère souvent en effet les inconvénients de cette formule et mérite même un examen attentif, en ce qu'elle peut nous aider à formuler des propositions pour une meilleure efficacité du système.
Cette habileté de l'enseignant fait appel, de façon plus intuitive que raisonnée mais néanmoins efficace, aux caractéristiques de l'apprentissage vicariant, dans lequel le modèle de l'élève fort peut être utilisé par l'élève faible.
Mais si l'apprentissage vicariant est effectivement en jeu dans cette situation, l'observation montre qu'il est néanmoins sous utilisé. Cette manière de conduire la classe reste en effet assez fortement aléatoire, car soumise à la disponibilité du maître, à son profil propre, aux circonstances, à la présence d'observateurs, etc.. Cette pratique favorise des leçons brillantes, très séduisantes lors des visites de classe ou des inspections, mais l'analyse montre que le jeu du " modeling " reste toutefois assez limité, qu'il concerne surtout les élèves dont le niveau est proche de celui des meilleurs.
Ce constat ne vaut pas condamnation, mais il autorise à rechercher des conditions de mise en œuvre de l'apprentissage vicariant encore plus efficaces : moins purement intuitives, moins conjoncturelles, plus structurelles, pouvant toucher un plus grand nombre d'enfants sans être tributaires de la disponibilité du maître et pouvant même renforcer cette disponibilité.
En bref, ce constat suggère de rechercher une mise en œuvre plus systématique voire, dans une certaine mesure, quasi automatique des processus utilisés par les "bons" maîtres.
La classe vicariante naît alors, qui apparaît comme une transposition majorante du bon modèle traditionnel. Elle va reposer sur une réorganisation du temps et de la classe, qui s'efforcera en particulier d'assurer une meilleure lisibilité des atouts dont disposent les bons élèves.
2 – Travail axé sur les " faibles "
Si le travail est centré sur les faibles, les écarts se réduisent mais... Lorsque le maître organise son travail de façon à pouvoir venir en aide aux plus faibles, ces élèves faibles progressent, grâce à la forte implication que le maître consent en leur faveur. Mais les élèves forts, qui sont alors parfois sous sollicités ou abandonnés à eux-mêmes, tendent à végéter et à se désintéresser de la classe : on parle vulgairement, dans cette situation de "rabotage par le bas".
L'habileté du maître peut évidemment chercher à corriger cette tendance, mais assez difficilement, pour plusieurs raisons : - 1. Le travail avec les élèves faibles est en général assez éprouvant, même pour un maître agissant généralement au nom de fortes convictions humanistes.
2. Ces fortes convictions humanistes, précisément, placent de surcroît le maître dans une situation inconfortable, car il peut éprouver un sentiment de culpabilité devant les élèves plus doués dont il est conscient de ne pas exploiter au mieux toutes les potentialités.
Ce problème appelle un examen attentif, car une "double contrainte" est difficilement supportable : le sentiment d'insatisfaction éprouvé par le maître, qui ajoute à la difficulté propre du travail avec les faibles, pèse sur l'atmosphère de la classe et sur le dynamisme du maître.
Une telle situation est trop grave pour ne pas être prise sérieusement en compte par les responsables des classes difficiles. Ils peuvent alors trouver, dans les solutions fondées sur l'hypothèse du psychologue Maurice REUCHLIN, une alternative intéressante
Le principe est simple, qui consiste à débrider l'activité des élèves forts pour pouvoir l'utiliser au bénéfice des élèves faibles, mais sans recourir au monitorat :
Dans le monitorat, le maître délègue à un élève fort une fonction de "sous-maître" qui s'exerce en partie au détriment de sa propre progression. La valeur morale de cette activité de soutien ne nous échappe pas, mais elle n'autorise pas à suspendre la réflexion. La démarche que nous préconisons est différente : au lieu de porter ses élèves faibles à bout de bras, le maître va leur permettre de s'appuyer sur les élèves forts en rendant plus visible, plus lisible, la progression de ces derniers, de même que les compétences qu'ils mettent en œuvre. Le problème devient alors celui de l'organisation de cette activité de repérage et de la régulation du dispositif, qui reste constamment placé sous le contrôle du maître mais tend en réalité à alléger considérablement sa charge tout en bénéficiant à l'ensemble de ses élèves, qu'ils soient "forts" ou "faibles".
L'OPTION VICARIANTE
Exploiter l'hétérogénéité
Les écarts entre élèves peuvent générer une dynamique profitable à tous... Cette belle affirmation provoque immanquablement des tollés. De fait, l'hétérogénéité des classes est un vrai problème et sa gestion ne va pas de soi. Les déclarations d'intention ne suffisent pas et le passage à l'acte est beaucoup plus facile à proclamer qu'à réaliser.
Si les situations d'hétérogénéité sont effectivement potentiellement auto-réductrices, elles ne le sont pas spontanément. Pire : non traitée, l'hétérogénéité brute d'une classe donnée ne peut libérer qu'une part infime de son potentiel auto-réducteur ou même s'aggraver en se compliquant progressivement de désordres importants (bruit, dissipation, violence, etc..) qui sont devenus un fléau dans certains collèges.
L'école élémentaire, en raison de ses particularités, offre un terrain relativement favorable au traitement de l'hétérogénéité, ce qui commande d'agir vite : on a beaucoup dit que le collège ne savait pas assez bien traiter l'hétérogénéité, on n'a pas assez vu que l'école élémentaire, plus à l'aise sur ce terrain, pouvait faire encore mieux et faciliter la tâche du collège.
L'observation des classes hétérogènes parmi les plus performantes permet d'imaginer, à la lumière des suggestions du psychologue Maurice REUCHLIN, une mise en œuvre de l'apprentissage vicariant moins dépendante des aléas de la prestation magistrale car prenant appui directement, avec une efficacité accrue, sur une organisation spécifique de la classe et du temps. Moins conjoncturelle donc et plus structurelle.
La formule retenue dans notre approche n'appelle qu'un minimum de ruse pédagogique et une vision plus systémique des problèmes. Elle emprunte beaucoup à l'héritage méthodologique de Freinet dont elle tend cependant à infléchir certaines caractéristiques en fonction des exigences propres de l'apprentissage vicariant.
Avantages pour les maîtres Leur tâche étant significativement transformée et son efficacité accrue, leur fatigue apparaît moindre. Leur sentiment de sécurité est renforcé et leur disponibilité à l'égard des élèves bien meilleure.
Avantages pour les élèves Les processus vicariants ne contribuent pas seulement à améliorer, comme il était attendu, leurs apprentissages, en leur fournissant des éléments d'information adéquats. Ces processus ont également des effets induits positifs notables :
a) Le processus d'apprentissage socio-constructif par observation relève, par définition, de l'intra-activité et de l'interactivité. Il développe des conflits intra-cognitifs et des conflits socio-cognitifs, qui mettent en jeu la parole intérieure et les échanges verbaux, éléments clés des situations d'apprentissage.
b) Le cheminement de l'élève procède d'une sorte de tâtonnement expérimental, qui fait appel au processus classique du raisonnement hypothético-déductif dont certains enfants en difficulté sont spécifiquement démunis, et qui est très favorable au développement de l'intelligence (éducabilité cognitive).
c) Ces processus développent également une forme d'auto-évaluation qui favorise l'émergence d'un profil de "bon élève", celui-ci se caractérisant notamment par sa capacité à évaluer avec précision sa situation au regard d'un apprentissage donné..
L'intensification du processus vicariant profite conjointement, dans les classes utilisant la formule, aux élèves forts et aux élèves faibles. Mais le processus vicariant, précieux pour les élèves en difficulté, vaut aussi pour les situations de moindre hétérogénéité. Dans les bonnes et très bonnes classes, les élèves ont des profils "bons" voire "excellents" mais cependant "différents" : les "matheux" ou les "littéraires" peuvent offrir par exemple, chacun dans leur dominante, des possibilités d'étayage intéressantes pour ceux dont le profil correspondant est moins favorable.
Mais nos considérations sur la gestion des classes hétérogènes ne prétendent pas à l'exhaustivité. Elle n'ont qu'une valeur d'illustration, et si elles peuvent faciliter la prise en compte d'une hypothèse de travail injustement restée dans l'ombre, elles reposent sur des tendances appréciées et non pas mesurées.
Les deux premiers profils de gestion, tendance "forts" ou tendance "faibles", correspondent à une réalité communément admise, même si la plupart des enseignants concernés cherchent néanmoins à se fixer, avec plus ou moins de bonheur, sur un niveau moyen. Le troisième profil, spécifique d'une utilisation rationnelle de l'option vicariante, reflète lui aussi une réalité tangible, non mesurée mais confirmée statistiquement par les maîtres expérimentateurs. Des maîtres très qualifiés, correspondant initialement aussi bien au profil de gestion "forts" qu'à celui du profil "faibles", qui n'avaient aucune raison de modifier leur pratique de classe habituelle, ont reconnu les mérites du profil à dominante "vicariance" et l'ont adopté, affirmant même avoir ainsi "redécouvert" leur métier.
On doit en outre noter un autre élément significatif, qui concerne l'accueil des élèves relevant de l'A.I.S..Cet accueil semble beaucoup mieux accepté dans les classes de type "vicariant", et les signalements d'élèves en difficulté aux "réseaux d'aide et de soutien" provenant de ces classes sont également plus rares.
Les échanges que nous avons pu avoir avec des formateurs de la spécialité A.I.S. semblent suggérer que ce type de classe "ordinaire" apparaît très complémentaire de l'action conduite au sein des R.A.S.E.D.. Son action préventive sur les difficultés scolaires mérite d'être soulignée et elle devrait être encore mieux étudiée, d'autant qu'elle semble contribuer à prévenir les "dérives" qui affectent inévitablement les R.A.S.E.D lorsque ceux-ci sont surchargés de cas atypiques et détournés de leur fonction originelle au profit d'actions de "soutien" ou de "répétition" qui ne correspondent pas à leur vocation originelle. "
4.3 – " RENDEMENT " et ERGONOMIE
4.3.1 – TEMPS D'ENSEIGNEMENT ET TEMPS D'APPRENTISSAGE
Afin de mieux situer les particularités de la PMEV, Michel Monot, reprend quelques-uns des éléments d'appréciation présentés par Marcel Crahay, professeur à la Faculté de Psychologie de Liège, dans le chapitre 5 de son livre " L'école peut-elle être juste et efficace ? ". Il écrit :
"À propos du concept d'opportunité d'apprentissage Crahay se réfère ici au modèle de CAROLL, largement pris en compte dans les travaux de l'équipe genevoise dont s'est à son tour inspiré la PMEV. "Pour CAROLL, le concept d'opportunité d'apprentissage renvoie à la quantité de temps accordé à un apprentissage pour réaliser un apprentissage donné." " Le temps nécessaire à un élève pour maîtriser un apprentissage donné n'est pas une variable immuable ; elle dépend de deux variables qui interagissent : la qualité de l'enseignement et la capacité de comprendre les explications langagières. "
La PMEV s'inscrit dans cette perspective. La qualité de l'enseignement doit cependant être comprise au sens anglo-saxon du terme "teaching". Il ne s'agit pas tant - ou plus seulement - de la qualité des leçons, telle que nous l'avons connue jadis lors de notre formation, mais de quelque chose de plus général : TOUT ce qui peut susciter l'apprentissage. De ce point de vue, la PMEV travaille bien sur la qualité de l'enseignement, même s'il pourrait sembler qu'en PMEV..."on n'enseigne plus"…. Le second terme de l'équation de CAROLL (capacité de comprendre les explications langagières) est pour sa part développé en PMEV de façon très caractéristique lors du moment quotidien de "bilan".
Temps alloué à l'enseignement et apprentissage des élèves
Crahay écrit : " Une étude chiffrée sur le rendement de l'enseignement du français (langue étrangère) dans huit pays différents montre que les différences de rendement s'expliquent dans une large mesure par les différences de temps alloué à cet enseignement. Dans une autre étude, où l'on augmente l'année scolaire de dix jours et la présence à l'école de une heure par jour, on obtient une amélioration du rendement de : 34% en habileté verbale, 65% en compréhension de lecture et 34 % en mathématiques. Il semble donc que "le pourcentage de gain de rendement obtenu est toujours supérieur au taux d'accroissement temporel supposé".
Pour Michel Monot, " La PMEV ne s'inscrit pas dans cette tendance "inflationniste" mais elle n'est pas non plus en totale contradiction avec elle. Elle joue pour sa part sur une meilleure utilisation du temps scolaire : non pas sur l'augmentation du temps de scolarisation (ou d'enseignement au sens classique), mais sur celle du temps d'apprentissage (ou d'enseignement au sens anglo-saxon), sur une certaine densification de ce temps."
Temps alloué à l'enseignement, investissement des élèves dans les activités scolaires et apprentissages
Michel Monot écrit : " Il s'agit ici du "temps effectivement investi par l'élève dans sa tâche", par opposition au "temps accordé à l'élève pour apprendre", distinction classique en pédagogie de maîtrise et reprise par la PMEV. Mais on ne distingue peut-être pas assez deux aspects de cet investissement : l'écoute attentive d'un "cours" et l'investissement dans un exercice ou une activité de projet ne sont pas tout à fait comparables. …/… Par delà les problèmes de motivation de l'enfant et de savoir-faire du maître, le temps investi dans la tâche souffre d'une absence de pré-requis qu'il est dans la pratique difficile d'identifier clairement et rapidement. Mais certains d'entre eux peuvent être identifiés par l'enfant lui-même en observant le travail de ses pairs.
Ce constat tend à vérifier l'hypothèse de Reuchlin. Il est au cœur du "moteur" de la PMEV et favorise, en quantité et en qualité, l'investissement dans la tâche. "
Comment maximiser le temps d'investissement des élèves dans la tâche ?
Pour Michel Monot, plusieurs remarques de Rosenshine peuvent concerner la PMEV :
Importance des variations enregistrées entre classes pour ce qui concerne le temps consacré aux apprentissages fondamentaux et le temps d'investissement des tâches scolaires
La PMEV, sur ce point, est réputée ne pas pouvoir faire plus.
L'investissement personnel le plus important est observé dans les classes où le temps alloué à l'enseignement est le plus élevé. Mais ne pas conclure que l'on pourrait augmenter indéfiniment le temps d'enseignement sans affecter le taux d'engagement des élèves !
Pour ce qui concerne la PMEV, deux remarques s'imposent :
Première remarque : En règle générale, les maîtres retiennent l'option PMEV pour ses effets significatifs sur l'engagement des élèves et sur leurs résultats scolaires. Très sensibilisés à ce problème, et soutenus par le dispositif porteur de la PMEV qui révèle ici son efficacité, ils apprennent à doser le temps d'enseignement et à le moduler en fonction de leur appréciation instantanée du taux d'engagement des élèves, qui peut subir des fluctuations saisonnières ou conjoncturelles assez diverses…
Seconde remarque : en PMEV, le temps consacré aux leçons magistrales proprement dites est parfois réduit, mais il doit être augmenté du temps alloué aux moments de "bilan".
CRAHAY insiste à ce sujet sur l'ambiguïté du terme "enseignement" et précise à juste titre : "Dans le mode francophone, le terme "enseignement" est connoté négativement. Enseigner c'est "transmettre à un élève, de façon qu'il comprenne et assimile, certaines connaissances". (Robert) En anglais, le terme teaching a une portée plus large puisqu'il recouvre toutes les activités produites par un individu pour susciter l'apprentissage d'un ou de plusieurs autres. Nous invitons nos lecteurs à donner au terme enseignement la signification correspondant au terme teaching." (Crahay, page 400)
- Rosenshine : le non-engagement dans la tâche
Rosenshine distingue trois catégories de non-engagement, seule la dernière permettant d'observer des différences entre les classes performantes et les autres. Mais les modalités spécifiques de la PMEV, pour chacune de ces catégories, semblent cependant globalement plus favorables.
Première catégorie : Les activités de préparation durant lesquelles les élèves taillent leurs crayons, vont chercher ou classer des feuilles d'exercice ou des documents.- En PMEV, ces activités préparatoires peuvent relever en partie de l'enseignement (au sens anglo-saxon), les élèves étant autorisés à échanger, autour des fichiers de travail, sur les exercices qui leur sont proposés.
Seconde catégorie : Les moments durant lesquels les élèves attendent le maître pour une explication individualisée ou pour une appréciation du travail en cours. Cette catégorie pose effectivement problème en PMEV compte tenu du fait que les maîtres s'imposent un suivi attentif de chaque élève, principalement en début d'année. Ils ont alors à régler des problèmes de "file d'attente". Mais ce suivi s'exerce dans un contexte relativement porteur, le moment quotidien de bilan permettant de réduire progressivement la fréquence des erreurs et donc le poids de ce facteur.
Troisième catégorie : Les moments de distraction durant lesquels les élèves rêvassent, se chamaillent ou discutent entre eux de sujets non liés aux apprentissages fondamentaux. Le positionnement de la PMEV semble ici particulièrement favorable. La phase de bilan étant fondée sur les échanges à propos des apprentissages et sa durée étant relativement longue, le besoin de "bavardage" est globalement atténué d'autant que les élèves s'investissent en outre plus volontiers dans une tâche qui leur a été facilitée par le jeu des échanges. De plus, les apartés sont limités mais pas totalement interdits pendant les moments de travail individuel s'ils concernent les échanges explicatifs.
Le temps d'engagement des élèves dans les activités d'enseignement est plus élevé lorsque le maître gère le groupe de façon collective. Cette observation pourrait cependant être entachée d'erreur, car il est plus facile de repérer la distraction des élèves au cours du travail individuel que d'identifier un élève qui n'écoute pas le discours de l'enseignant mais simule l'attention.
Quoi qu'il en soit de cette observation et de sa validité, et sans préjuger de ce que révèlerait effectivement l'analyse de séquences en classes PMEV, il convient de souligner que les élèves placés dans ce contexte sont soumis à deux particularités qui favorisent l'investissement :
1. Les bilans antérieurs ont fourni des repères favorisant l'engagement dans la tâche.
2. Le bilan qui succède à la séance de travail individuel favorise la mise en projet personnel de l'élève et donc l'engagement dans les activités d'apprentissage.
Philippe Perrenoud : la logique du rendement ? Pour Philippe Perrenoud, " Accroître le temps investi dans l'apprentissage, cela pourrait vouloir dire : "expurger" la vie scolaire de toutes les pratiques, de tous les temps qui ne contribuent pas au travail scolaire. Et expurger le travail scolaire proprement dit des rituels et des routines qui ne contribuent pas à l'apprentissage. On retrouve ici la logique du rendement dans les organisations industrielles et bureaucratiques. Or, la sociologie du travail nous enseigne que c'est un combat perdu d'avance : la vie, dans toute sa complexité, se réintroduit toujours là où on croyait avoir rationalisé l'emploi du temps, l'attribution de l'espace, les gestes, les postures, les échanges, les structures de communication et de décision. On ne peut faire durer une organisation qu'en faisant la part du feu, autrement dit tout ce qui échappe à la rationalité déclarée, mais qui rend son existence possible comme groupe humain et réseau de relations. Dans l'école, la centration exclusive sur les apprentissages correspondant aux objectifs est d'autant plus difficile que la convivialité est une valeur positive pour une fraction des enseignants, à la fois comme mode de vie et comme pratique éducative. L'école n'est pas conçue seulement comme un lieu d'apprentissage, mais comme un lieu de vie que maîtres et élèves s'efforcent d'aménager pour le rendre supportable, voire agréable et chaleureux. Ils refuseront donc plus ou moins ouvertement une rationalité de l'emploi du temps qui les conduirait à être constamment centrés sur le travail proprement scolaire. "
Ce à quoi Michel Monot répond : " Les logiques industrielle et bureaucratique du rendement étant ce qu'elles sont, et leurs excès connus, il reste que le problème du rendement et de l'utilisation du temps à l'école n'est pas un sujet honteux : il doit être posé sans préjugé, en se gardant de tout amalgame.
Si les équilibres des "emplois du temps" officiels ne sont pas respectés, si la durée de certaines phases d'apprentissage doit parfois être démesurément allongée, c'est précisément que le problème du rendement, de l'efficacité, n'a pas été posé. Et si la pédagogie de maîtrise a voulu poser ce problème prioritairement, c'est précisément en raison du gâchis qui est parfois constaté, de la fatigue inutile de l'écolier et de ses multiples incidences, dont le "tabou" qui pèse sur le rendement scolaire peut être tenu pour responsable.
Les logiques industrielles ont d'ailleurs admis aujourd'hui que le rendement devait être intégré dans une problématique plus large, celle du confort, celle de l'ergonomie. La pédagogie de maîtrise invite donc les acteurs de terrain, qu'ils soient enseignants ou administrateurs, à s'emparer du problème de l'ergonomie à l'école.
La "convivialité est une valeur positive pour une fraction des enseignants", et il serait très souhaitable qu'elle le soit pour tous. Mais la convivialité est aussi un élément à part entière de l'ergonomie du travail scolaire, considérée tant sur le poste "élève" que sur le poste "enseignant". Cette convivialité implique en premier lieu une réduction de la "tension", tension qui dépend principalement de l'efficacité des apprentissages et de la manière dont le maître conduit la classe, mais également d'autres facteurs qui peuvent eux aussi être l'objet de "tabous".
L'efficacité des apprentissages dépend fortement des outils pédagogiques utilisés par le maître, la pédagogie de maîtrise pouvant être considérée sur ce plan comme un outil particulièrement fiable.
La manière dont le maître conduit sa classe est étroitement tributaire pour sa part de l'efficacité de ses outils, cette efficacité induisant chez le maître un sentiment de sécurité qui influe sur l'atmosphère de la classe, sur son état de fatigue, sur son caractère, etc.
4.3.2 – L'ERGONOMIE DANS L'ENSEIGNEMENT
Pour ce qui concerne donc ce problème de l'ergonomie dans l'enseignement, Michel Monot cite un article écrit par Nicole Devolvé et Annick Margot dans la revue " Education et Psychologie ", de mars 2001. Selon ces deux auteurs, "l'analyse du travail de l'enseignant du point de vue de l'ergonomie montre une diversité de tâches qui peuvent expliquer l'extrême fatigue de certains enseignants ou la difficulté que certains ont pour atteindre l'objectif qu'ils se sont fixé avec leurs élèves."
Mais, pour Michel Monot, il semble en revanche plus aléatoire et en tout cas incomplet d'affirmer que "cette difficulté est en relation étroite avec les représentations mentales que les enseignants ont eux-mêmes de la situation d'apprentissage". Bien des enseignants ont parfaitement conscience de cette difficulté qu'ils découvrent le plus souvent brutalement à leur "entrée dans la vie active", en prenant conscience des limites de l'apport universitaire.
- Modèles " linéaire ", " triangulaire ", et " complexe "
Les auteurs de l'article opposent deux modèles qui s'opposent tous deux à un troisième :
1°) - le modèle "linéaire" qui est "omniprésent encore, à l'heure actuelle, dans les manières de penser et dans les représentations implicites et explicites de la situation d'enseignement", mais dans lequel "la relation directe au savoir par l'élève, n'existe pas", pas plus que la "relation dialectique entre l'élève et la personne qu'est l'enseignant",
2°) - le modèle "triangulaire", plus élaboré sans doute car riche, celui-ci, en "interactions" mais qui restent encore très imparfaites car "le contexte n'est pas intégré dans la définition des interactions", qui s'opposent à un troisième modèle, dit savamment de "l'interaction complexe", "intégrant l'ensemble des facteurs contextuels dans l'analyse de ce que fait et subit l'individu à un moment donné, tel qu'il est développé en ergonomie".
Michel Monot écrit : " Ce modèle de l'interaction complexe que nous connaissons bien en PMEV, Annick Devolvé et Annick Margot le défendent hardiment, et c'est là leur principal mérite, même si elles l'abordent peu au plan pratique. Mais elles en vantent du moins les qualités potentielles, allant jusqu'à affirmer que cette approche systémique de la situation éducative "ouvre des voies intéressantes pour traiter la situation de travail de l'élève et aussi de l'enseignant". Elle permet en effet "d'éliminer la fatalité du bon ou du mauvais élève, du bon ou du mauvais enseignant", ce que nous avions déjà souvent souligné à propos de la PMEV, car nous pensons avec elles que "pour faire bien, il faut être bien dans sa situation de travail", et que "cette affirmation est valable pour tous les acteurs de la situation d'apprentissage : des équilibres individuels dans le travail, naîtra un équilibre renforcé pour chacun. Le mieux-être de tous en dépend." Un mieux-être sans aucun doute, mais aussi de meilleurs apprentissages, ceci expliquant cela et réciproquement.
Michel Monot : " Il faut promouvoir une approche ergonomique "
Pour Michel Monot, " Il faut donc promouvoir une approche ergonomique des métiers de l'enseignement, ce qui est, d'après les auteurs, un problème de représentations, sans oublier, insisterons-nous, le versus élève qui est à notre sens peut être plus "heuristique". Problème de représentations des enseignants sans doute, pour une part au moins, car nous savons bien en PMEV que nous nous heurtons souvent aux représentations de nos collègues, mais aussi problème de représentations chez les acteurs "hiérarchiques" ou "administratifs" qui n'ont pas toujours une perception très juste de la complexité de la classe.
Philippe Perrenoud : fabriquer ses propres antidotes
Michel Monot cite également Phillipe Perrenoud, selon lequel l'instituteur souffre d'exercer un métier qui peut parfois devenir fastidieux, mais qui réserve cependant des possibilités de fabriquer ses propres antidotes : antidotes efficaces pour le maître - ce qui est déjà beaucoup, précise P. Perrenoud – si ce n'est pour les élèves, et c'est bien là le problème.
Pour Michel Monot, " Si cette voie complémentaire - celle ouverte par le recours à l'apprentissage vicariant - est pédagogiquement efficace, elle ne l'est pas moins au plan sociologique : A cette petite "fraction des enseignants qui s'appliquent à faire chaque année et chaque jour la même chose", sans aucun doute par besoin de sécurité, elle apporte un surcroît d'efficacité qui va les sécuriser et les conduire, nous l'avons souvent constaté, à oser affronter les aléas d'une programmation moins rigide et à se sentir comme libérés.
A cette majorité pour qui "la vie professionnelle n'est supportable qu'au prix d'aménagements périodiques du système de travail", elle apporte une variété de situations qui rompt la monotonie de la classe et comble leur désir de changement :
Qu'il s'agisse des contenus, car la liberté laissée aux élèves d'aborder des lectures documentaires variées introduit une richesse nouvelle et parfois imprévisible que le maître peut exploiter à sa guise ; Ou qu'il s'agisse des situations didactiques, car le temps gagné lors des apprentissages fondamentaux et la sécurité apportée par le dispositif autorisent plus facilement des innovations didactiques ;
Qu'il s'agisse des tâches données aux élèves, car les fichiers de tâches peuvent toujours être modifiés et enrichis en fonction des occasions qui se présentent, mais aussi parce que la fréquente remise en chantier des tâches abordées permet d'en explorer la richesse plus à fond. Ou qu'il s'agisse de la manière de les évaluer, car la variété des tâches proposées appelle elle-même des exigences d'évaluation adaptées ;
Qu'il s'agisse des modes de groupement des élèves, car l'alternance régulière de phases de travail individualisé et de phases de bilan collectif, qui reste la base de l'organisation dans notre approche de la pédagogie de maîtrise, n'exclut en rien des "variantes", d'autant plus faciles à organiser qu'elles peuvent être pilotées par le truchement habituel des fichiers : préparation de lectures dialoguées, ateliers divers, travaux de recherches en petits groupes, etc. Ou qu'il s'agisse de l'ordre de progression dans les programmes, qui bénéficie ici de la souplesse inhérente à toute organisation de travail par fiches, avec une garantie de sécurité renforcée par le recours à des apprentissages mieux étayés.
Redéfinie sur des bases plus réalistes à partir des idées de Maurice Reuchlin, la pédagogie de maîtrise semble échapper aux risques qu'évoque Philippe Perrenoud. Loin d'appauvrir le métier d'enseignant, elle le vivifie par la richesse des apports et des réactions des enfants. La liberté qu'elle procure au maître ne menace pas davantage la rigueur des régulations : elle replace au contraire celle-ci au premier plan, en particulier lors des séquences particulières que la mise en œuvre de l'apprentissage vicariant implique d'introduire dans la classe. "
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Par 0fote le 16 Avril 2013 à 13:18
3.1 – ORGANISATION DE LA CLASSE
3.1.1 – L'année
Concrètement, l'année est divisée en " mini-périodes " dont la durée varie avec l'âge des élèves : 1 semaine en CP, 3 semaines en fin de cycle 3. Durant cette période, l'élève a un certain nombre de fiches à effectuer.
3.1.2 – La journée
La journée est elle-même divisée en deux temps
3.1.2.1 – Le temps de travail individuel (T.I)
C'est le travail sur des fiches choisies par l'élève dans le lot qui lui est imposé pour la période. La durée de ce temps de travail individuel varie en fonction de l'âge des élèves.
3.1.2.2 – Le bilan
Les élèves viennent présenter leur travail, c'est-à-dire les fiches qu'ils ont effectuées, à l'ensemble de la classe. Les " experts " fournissent ainsi aux " novices " des indices, des informations qui vont leur permettre d'effectuer les tâches qui leur étaient inaccessibles au début de la période. Pour les " experts ", c'est un travail de reformulation et d'explicitation, dont il n'est pas inutile de souligner l'intérêt. L'enseignant n'a que peu d'intervention de nature pédagogique. Il effectue un rigoureux travail de pointage des fiches effectuées par chaque élève pour mesurer la progression de la classe. Une même fiche peut être présentée plusieurs fois pendant la période. Il est important que le bilan permette de répondre à des questions qu'un élève se pose au sujet d'une fiche qu'il a vue mais n'a pas su faire.
3.1.2.3. – Les leçons
Elles ne disparaissent évidemment pas mais elles changent de fonction. Elles ont lieu surtout quand le besoin d'une mise au point ou d'une synthèse se fait sentir pour tout ou partie de la classe.
Pourquoi cette organisation ? Les élèves rapides vont effectuer les fiches plus vite que les élèves qui connaissent des difficultés. Le découpage en mini-périodes évite que les élèves rapides prennent tellement d'avance que les autres ne se représentent plus la fiche dont il est question, et il leur permet, au contraire, de recevoir chaque jour de nouvelles informations sur le travail en cours, d'affiner ainsi leur analyse pour atteindre à leur tour leur but.
La mise en place de la PMEV ne va pas évidemment de soi, mais les classes fonctionnant sur ce modèle en France et à l'étranger se sont construites à peu près seules sur la base d'informations échangées par Internet.
Le fait que les résultats en matière de comportements des enfants soient visibles dès les premiers jours facilite la mise en place et encourage les maîtres. Tous témoignent de la disparition de l'obligation habituelle de faire de la discipline, et de l'engagement réel des élèves dans leurs apprentissages. Les résultats en terme d'amélioration des apprentissages sont rapidement significatifs, perceptibles dès la première semaine. Ils sont rapides et fiables et font souvent déclarer aux maîtres qu'ils ont redécouvert leur métier.
L'apprentissage vicariant
Pour qu'il y ait apprentissage vicariant, il faut :
1°) - que soient en présence, face à un apprentissage donné, les enfants qui ont déjà maîtrisé cet apprentissage et des enfants qui, le découvrant, vont avoir besoin éventuellement de prendre quelques repères. Il faut donc des enfants qui aient pris une certaine avance, mais contrôlée, sur d'autres.
2°) - que les savoir-faire de ces élèves avancés soient rendus visibles, lisibles, interrogeables pour permettre aux élèves lents de prendre des repères.
3°) - que soit donc prévues, dans l'horaire scolaire, des séquences réservées à ces prises de repères, qui fonctionneront par nécessité avec beaucoup de souplesse, mais resteront néanmoins strictement placée sous le contrôle du maître.
L'apprentissage de l'auto-évaluation et de la gestion de ses propres apprentissages : Le recours à l'apprentissage vicariant permet l'apprentissage de l'auto-évaluation et celui de la gestion de ses propres apprentissages :
c'est en prenant des repères sur des camarades plus avancés que l'élève se fait peu à peu une idée plus précise des tâches à accomplir et qu'il parvient à mener à bien ce qui lui était inaccessible au départ.
ce faisant, l'élève s'entraîne chaque jour à analyser et à évaluer chacune des tâches qui lui sont proposées. Cet apprentissage de l'auto-évaluation est capital : il est à la fois une conséquence de cette organisation pédagogique et un moyen d'améliorer les capacités d'apprentissage.
l'enfant en tire une règle de fonctionnement et de gestion de ses apprentissages :
1°) - en se consacrant d'abord aux tâches qu'il juge à sa portée et
2°) - en recueillant les indices qui vont lui permettre de se mettre à la hauteur des tâches qui ne lui sont pas initialement accessibles.
L'exploitation de l'hétérogénéité La classe fonctionnant en PMEV est donc fondée sur une certaine hétérogénéité, mais une hétérogénéité mesurée, orientée, provoquée en quelque sorte et qui, pour devenir et rester fonctionnelle, restera limitée et contrôlée.
Prises d'indices et réinvestissement individuel Le fonctionnement en PMEV fait donc alterner des séances collectives de prises d'indices avec des périodes de réinvestissement individuel.
Accorder à chacun le temps dont il a besoin pour apprendre
Ce fonctionnement permet de gagner du temps. Tout en accordant à chacun le temps dont il a besoin pour apprendre, il réussit, en favorisant les prises d'indices, à ce que le temps soit effectivement investi par l'élève dans sa tâche d'apprentissage.
Ce gain de temps et cette efficacité renforcée chez tous les élèves ont un impact sur l'anxiété du maître, ce qui change l'ambiance de la classe. Il permet en outre de redonner toute leur place aux disciplines dites secondaires.
Intérêt pour les enfants en retard scolaire et pour ceux qui ont un profil atypique L'intérêt de cette méthode est indéniable pour tous les enfants, et particulièrement pour ceux qui se trouvent en difficulté parce qu'un enseignement frontal homogène ne leur convient pas. On trouve dans cette catégorie les enfants en retard scolaire mais aussi tous ceux qui ont un profil atypique.
Conformité aux exigences de l'Administration (I.O de 1989) On pourrait dire que le plus grand avantage de cette méthode est qu'elle satisfait pleinement aux exigences de l'Administration pour ce qui concerne l'évolution pédagogique rendue nécessaire pour une mise en place effective d'un enseignement par cycles.
Mais elle en a d'autres, non moins négligeables :
Il est possible de la mettre immédiatement en place dans n'importe quelle classe quelle que soit son hétérogénéité, et son incidence sur les taux de redoublement semble confirmée, ce qui est dans la logique de la politique des cycles.
Elle est immédiatement applicable par n'importe quel enseignant, même débutant, les plus chevronnés trouvant pour leur part à réinvestir leur expérience dans les meilleures conditions.
Elle change radicalement le rapport de l'élève au savoir et cela, pourrait-on affirmer, presque instantanément.
Elle change radicalement les rapports de l'enseignant à ses élèves et semble même avoir une incidence sur l'absentéisme des maîtres.
Il me semble donc que, si elle se met en place dans l'enseignement primaire, cette méthode permettra de résoudre le problème actuellement devenu insoluble de l'hétérogénéité croissante des classes.
Il n'est évidemment pas question, malgré ce bilan globalement positif, de parler de "méthode miracle", et je voudrais vous en convaincre par deux remarques :
1.La PMEV, que nous désignons ainsi par simple besoin de dénomination ou de clarté, n'est rien d'autre qu'une application assez banale des directives de la réforme des cycles, et l'on est en droit de penser que les concepteurs de celle-ci avaient réfléchi et mûri leur texte.
2.L'apprentissage vicariant, pour avoir un petit air de nouveauté, est en réalité une vieille histoire, inséparable sans doute de la montée de l'intelligence dans l'humanité. Il a ses lettres de noblesse, dans le compagnonnage par exemple, et son adaptation réfléchie aux besoins spécifiques des apprentissages scolaires ne pouvait qu'être avantageuse.
3.2 – EXEMPLES DE MISE EN ŒUVRE
Réflexion sur les supports de présentation du travail individuel, publiée par Anne-Olga JULIEN dans le Bulletin de la PMEV N°5 (septembre 2001). Après concertation, grâce à la liste PMEV sur Internet, voici une réflexion sur les supports de présentation du TI.
Voici plusieurs façons de proposer les exercices de mathématiques et de français, ainsi que la critique de ces expériences.
Présentation par fiches Avantages Très peu de photocopies (chaque exercice est photocopié entre 3 et 5 fois) Échanges entre pairs lors du choix de l'exercice. Inconvénients Lors du bilan, les élèves n'ont pas l'exercice sous les yeux. Va-et-vient pas toujours "motivés" par la sélection d'une fiche. Les fiches sont remises sans être rangées. Les fiches sont égarées. Les réponses sont écrites sur les fiches. Si elles sont imprimées sur du papier 80g, elles deviennent rapidement chiffonnées.
Réflexions "remédiations" Projeter l'exercice au tableau. Faire des agrandissements au format A3. Écrire rapidement l'item au tableau. Imprimer les fiches sur des bristols de couleur. (Le rangement sera plus rapide, une couleur par matière. Le bristol est solide mais cher.) Inscription éventuelle de son prénom derrière la fiche de façon à diminuer l'envie d'y écrire les réponses. Montrer aux enfants les fiches qui seront à faire dans l'année scolaire en précisant que l'ordre sera défini par leurs problèmes à résoudre.
Pour le cycle 2 : Fiches au format A5 plus facile à manipuler et à ranger. Les fiches sont protégées dans des pochettes plastiques A5 achetées aux éditions Odilon (75,00 Feuilles 250.) Scanner tous les exercices de la période, chacun sur une fiche, avec le numéro de la page et la lettre de l'exercice. Les enfants doivent retrouver le même dans leur fichier avant de le faire.
Utiliser les manuels Pour éviter un temps de préparation long dû à la nécessité de scanner pratiquement tous les exercices, prévoir :
d'utiliser des manuels en indiquant sur le plan de travail, le numéro de l'exercice et la page. Avantages pour le maître : Aucune photocopie à faire Temps de préparation très court (uniquement du travail de repérage) Avantages pour les élèves Disponibilité de tous les exercices à chaque instant Possibilité de suivre le bilan avec l'exercice sous les yeux. Un manuel peut donner pour certains enfants un cadre régulier de travail et donc les rassurer
Inconvénients pour le maître Gestion des manuels (qui a quel manuel ?)
Inconvénients pour l'élève Il n'y plus le plaisir de se lever et de se déplacer pour aller chercher son travail. Fin des petits rassemblements/discussions autour du coin fiches. Ce n'est pas très motivant d'avoir un gros livre à "faire". On perd l'attrait de la nouveauté et le regain d'intérêt qui en découle quand on change de série de fiches.
Solutions possibles Disposer plusieurs manuels de plusieurs éditeurs en fond de classe, les exercices à faire étant tirés de ces différents ouvrages. On voit ainsi la progression sur du "long terme"
Une solution intermédiaire : manuel et fiches Les exercices inscrits au plan de travail se trouvent dans le manuel. Mais leur référence est inscrite sur des fiches à aller chercher.
Avantages Lors du bilan, tous les enfants ont le travail en question sous les yeux Les discussions restent possibles au coin fiches (qui existe donc) Présence sur la page du manuel de la leçon correspondant à l'exercice Le manuel est à tout moment à la disposition de chacun, tous peuvent consulter le même travail au même moment (bilan), il est la référence commune.
Inconvénients Les élèves emmènent le livre à la maison et font expliquer les exercices à leurs parents Avoir le même manuel pour chaque élève
Présentation sous forme de cahier Présentation par petit cahier de tous les exercices de la période. (Imprimez les exercices au format paysage et on plie en deux les feuilles, on les coupe sur le pli et on les agrafe.)
Avantages Beaucoup moins de déplacements dans la classe. Les élèves ont tous les exercices à disposition et les découvrent plus rapidement. Lors du bilan, on a l'exercice sous les yeux, on se sent plus concerné par les explications des pairs.
Inconvénients Beaucoup de photocopies Les élèves emmènent le cahier à la maison et font expliquer les exercices à leurs parents. Les élèves ont plus de mal à accepter de recopier les exercices, ils ont tendance à écrire les réponses directement sur la photocopie.
Réflexions -remédiations" Pas de solution pour diminuer le nombre de photocopies mais si on a une imprimante à aiguilles on peut tenter les stencils. Relever les petits cahiers après le bilan pour ne pas qu'ils les emmènent à la maison Valider uniquement les exercices recopiés.
par Jacques Bert, 2005
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Par 0fote le 16 Avril 2013 à 13:15
2.1 – LA PÉDAGOGIE DE MAITRISE
2.1.1 – IDÉES DIRECTRICES
La pédagogie de maîtrise (Mastery Learning) est née aux U.S.A. dans les années 60. Elle a été connue en France grâce à la traduction des travaux de Bloom. Selon Bloom, chaque élève est apte à se construire n'importe quel bagage, tant notionnel que conceptuel, pour autant qu'on respecte son rythme d'apprentissage. Le postulat fondamental sous-jacent à cette thèse est le suivant : la plupart des élèves devraient être capables de s'approprier ce qui est enseigné, pour autant que les conditions d'enseignement soient optimales pour chacun d'eux. Dans le respect des individualités, l'école devrait ainsi se faire le vecteur idéalement démocratique de la transmission du savoir. Si l'école échoue, c'est que ces conditions optimales ne sont pas remplies, que les différences individuelles ne sont pas respectées. Bloom conclut donc à la nécessité d'une pédagogie qui prenne en compte les différences : il pose les premières pierres des théories qui développeront par la suite cette idée de pédagogie différenciée qui ne concerne guère alors, dans son esprit, que des considérations relatives au temps d'apprentissage.
Bloom met l'efficacité au centre de son discours. Insistant sur le temps individuel d'apprentissage, la pédagogie de maîtrise cherche ainsi à remotiver l'enfant (ou à maintenir sa motivation à un bon niveau !), en suivant au mieux l'évolution de son développement.
Michel Monot écrit : " Pour Bloom, qui se souciait surtout d'efficacité, le temps requis pour maîtriser un contenu est la caractéristique individuelle fondamentale qu'il faut retenir en situation scolaire. Citant une enquête internationale, Bloom montre qu'un élève moyen, enseigné pendant 12 ans, ne maîtrise que les contenus correspondant à 8 ans d'enseignement. La Pédagogie de Maîtrise postule que l'on peut éviter cette énorme perte de temps, et Bloom fait l'hypothèse que l'on n'observerait pas des écarts aussi importants si l'école tenait compte de trois variables :
le degré de maîtrise dans les pré-requis nécessaires à tout apprentissage nouveau ;
le degré de la motivation à apprendre ;
la qualité de l'enseignement, appréciée en particulier sur l'aptitude à mettre en œuvre les deux facteurs précédents.
Pour Bloom, la pédagogie de maîtrise n'était pas révolutionnaire et n'appelait pas d'importants développements théoriques. Elle devait surtout chercher à provoquer chez les élèves des changements d'attitudes, ce qui était déjà la préoccupation majeure de Freinet. Il affirmait que "le talent peut être développé", préfigurant en quelque sorte le courant moderne de l'éducabilité cognitive, mais sans entretenir d'illusions sur la possibilité de modifier les intelligences.
Les idées directrices de la Pédagogie de Maîtrise sont donc les suivantes :
1°) - la clarté des objectifs : ils doivent être précis et accessibles.
2°) - le renforcement de l'effort et du travail.
3°) - la variété des supports didactiques.
4°) - le dépistage formatif, rapide et non sanctionné, des lacunes et des difficultés, suivi d'une remédiation.
5°) - une évaluation critérielle et non comparative.
6°) - du temps pour apprendre, avec une aide appropriée, par des intervenants supplémentaires.
7°) – la décomposition du processus en trois étapes : enseigner – évaluer - remédier.
8°) – le principe moteur est dans le feed-back fourni par l'évaluation formative et les activités de remédiation qui en découlent. "
Pour Paul Perrault, professeur à l'Université du Québec, " La Pédagogie de maîtrise est souvent représentée comme une réponse à la double marche à l'aveugle à laquelle conduisaient la pédagogie traditionnelle d'une part et la pédagogie nouvelle de l'autre, aveuglement de l'élève quant aux objectifs poursuivis par l'enseignant dans le premier cas, aveuglement du maître dans le second quant à la manière de raccrocher entre eux les fragments de connaissances ainsi acquis " à la cueillette " par l'étudiant dans les formes d'enseignement basées sur les seuls besoins et intérêts de l'élève (Bloom, 1979). Un énoncé clair des objectifs à maîtriser facilite en effet grandement le parcours de la matière pour les étudiants, d'autant plus si celui-ci s'opère à une certaine distance de l'enseignant. Si l'enseignant précise en plus, l'importance qu'il attribue à la maîtrise de telle ou telle unité, par l'indication du niveau taxonomique des comportements de maîtrise (Bloom, 1975) ou par la spécification d'une indication du temps de travail conseillé pour parvenir à cette maîtrise, l'aide ainsi apportée devrait être de nature à répondre au besoin d'aide à l'appréciation du temps requis par les apprentissages à réaliser et de l'importance relative des différents éléments à connaître.
La pédagogie de maîtrise invite également à fournir à l'étudiant des indications utilisables pour connaître sa propre progression dans les apprentissages. Par des tests réguliers, taillés sur mesure pour couvrir les objectifs visés, l'enseignant permet à l'étudiant d'être renseigné très précisément sur sa progression, et se donne les moyens de suivre lui-même les progrès individuels mais aussi de repérer rapidement toute difficulté majeure rencontrée par ces étudiants dans tel ou tel secteur de la matière. "
2.1.2 – LA P.M " ÉLARGIE "
La recherche d'une adaptation aux structures et à la réalité quotidienne d'un enseignement de masse a conduit les chercheurs de la Faculté des Sciences de l'Education de Genève à définir une Pédagogie de Maîtrise " élargie " : dans un ouvrage publié en 1988 , les héritiers de Piaget, qui ont fait une critique constructiviste des travaux américains sans les condamner a priori, suggèrent, sans avoir pu tout à fait concrétiser leurs objectifs :
1°) – de moins chercher à définir des actions de remédiation que de construire un contexte d'auto-apprentissage ;
2°) – d'intégrer des éléments du travail préceptoral (régulations interactives maître-élève) ;
3°) – d'organiser l'enseignement pour obtenir une pleine utilisation du temps ;
4°) – de susciter l'engagement des élèves ;
5°) – de prendre en compte les rythmes pour les optimiser ;
6°) – de déléguer partiellement l'évaluation à l'élève : c'est une évaluation formatrice (d'où l'importance de bien définir les objectifs).
7°) – de mettre en place un processus de régulation dans une conception constructiviste de l'apprentissage.
8°) – de recourir à d'autres éclairages théoriques, à d'autres expériences, pour pouvoir " passer à l'acte " comme dit Huberman, car tous ces auteurs sentent que LA solution est là mais qu'on ne la tient pas encore.
Car, pour Linda Allal, membre de l'équipe suisse, il s'agit donc, tout en essayant d'élargir le concept initial de la Pédagogie de maîtrise, d'en conserver au moins trois aspects essentiels :
1°) la finalité, visant à un niveau élevé de réussite chez un maximum d'élèves,
2°) la rigueur et le sérieux avec lesquels les stratégies classiques de Bloom et ses collaborateurs ont été construites et appliquées,
3°) le rôle systématique accordé aux procédés de feed-back et de régulation, qui explique sans doute les effets positifs de la P.M. classique.
Autrement dit, mettre en œuvre une pédagogie de maîtrise plus cohérente avec les principes des "nouvelles didactiques" et avec les théories constructivistes de l'apprentissage, ne signifie pas abandonner le souci d'efficacité et le sens des responsabilités envers les élèves qui ont marqué le travail antérieur dans ce domaine. "
Elle ajoute : " S'il veut faire mieux et devenir plus efficace, le maître doit d'abord se mettre en retrait et observer les élèves… Dans le contexte habituel de la classe, plusieurs contraintes limitent l'action préceptorale de l'enseignant. Le maître ne peut guère intervenir auprès de chaque individu ou sous-groupe d'élèves à chaque instant. Il est donc essentiel que les élèves apprennent à gérer des activités d'apprentissage seuls, sans l'intervention ou la supervision constante de l'adulte. Le développement d'une telle capacité chez les élèves est en fait une condition indispensable pour le développement d'une pratique d'observation et d'intervention individualisée. Autrement dit, si l'on veut éviter que la régulation des processus d'apprentissage ne dépende exclusivement que des effets - positifs mais nécessairement épisodiques - de l'intervention des enseignants, il faut que les situations d'apprentissage elles-mêmes soit structurées de manière à favoriser les interactions constructives entre les élèves et avec le matériel didactique. L'étude de ces régulations " gérées par les élèves " me semble primordial pour la conception d'une Pédagogie de maîtrise élargie, susceptible de fonctionner dans la réalité quotidienne de la classe. "
2.1.3 – APPORTS POUR LA PMEV
Pour Michel Monot, la méthode dont il est l'initiateur vise à mettre en pratique les suggestions des chercheurs suisses :
1°) L'intégration des éléments du travail préceptoral : L'instauration de phases de travail individualisé permettra au maître de se rendre disponible pour des entretiens en tête-à-tête avec des enfants venant lui présenter leur travail. Ces entretiens permettront une approche fine des cas individuels qui rappelle - toutes proportions gardées - le travail préceptoral.
2°) Une régulation intervenant dès le début de la période d'apprentissage, permettant à l'enfant de recueillir, dès qu'il amorce son apprentissage, les éléments d'information dont il a besoin.
3°) Mise en place d'une régulation proactive : Pour Linda Allal, cette idée de régulation pro-active , qui n'apparaît pas chez Bloom, " recouvre, entre autres, l'idée que l'enseignant peut être amené à renoncer à la remédiation des erreurs s'il pense que la consolidation ou l'approfondissement des compétences des élèves se fera mieux dans un nouveau contexte que par la reprise d'une tâche non réussie, ou par la ré-étude de la matière non comprise. "
La PMEV va reprendre cette idée en cherchant le moyen de faire aborder chaque notion du programme plusieurs fois et de manières différentes, avec des exemples différents, et selon un point de vue différent. Un enfant qui n'a pas très bien compris la première fois trouvera donc d'autres occasions de comprendre, rendant par-là inutile une insistance trop lourde à la première explication, dont on sait qu'elle entraîne souvent des décrochages néfastes. L'efficacité du dispositif, qu'il faut aussi rapporter aux éclairages de Stella Baruk sur ce qu'elle appelle " les allers et retours de sens ", est indéniable. Sa mise en œuvre se montre en outre beaucoup moins contraignante que celle de la Pédagogie de Maîtrise pratiquée initialement aux États-Unis.
Pour Michel Monot, " le problème de l'efficacité de l'enseignement apparaît bien ici comme un problème d'organisation de la classe et de gestion du temps quotidien.
Il faut comprendre que le problème du temps accordé à l'élève pour apprendre, comme celui du temps qu'il investit effectivement dans sa tâche, sont en fait indissociables de la manière dont le maître organise sa classe.
Qualitativement, s'il veut optimiser son rôle, le maître doit bien choisir ses cibles et ses interventions, et pour cela se donner d'abord du temps pour pouvoir effectivement observer et analyser - c'est-à-dire évaluer - comme le suggère pertinemment une option majeure, mais peu exploitée, des Instructions Officielles sur les cycles ". Quantitativement, des plages horaires importantes doivent être affectées au travail individuel et à la régulation entre élèves pour que le maître puisse les analyser et intervenir à bon escient.
Philippe Perrenoud : lutter contre l'ennui : Dans l'ouvrage collectif des chercheurs suisses, Philippe Perrenoud écrit : " Les travaux expérimentaux semblent indiquer que la satisfaction des élèves est plus grande dans un système de pédagogie de maîtrise que dans les classes pratiquant une pédagogie traditionnelle… la pédagogie de maîtrise peut accroître le sens du travail scolaire dans la mesure où elle ajuste le niveau de la tâche et la démarche d'apprentissage aux caractéristiques de l'élève. Elle peut donc lutter contre l'ennui, le désinvestissement, le dégoût de l'école, lorsqu'ils viennent de l'impression, soit de perdre son temps (parce qu'on sait déjà ou qu'on pourrait apprendre tout seul ce qu'on vous enseigne laborieusement ou longuement), soit au contraire d'être mis du matin au soir en demeure d'écouter des explications incompréhensibles ou de faire des exercices "impossibles". Une pédagogie différenciée devrait effectivement donner envie d'apprendre du seul fait que l'élève a le sentiment de maîtriser son travail et de recevoir de l'aide au bon moment et sous une forme appropriée. "
C'est pour pallier cet inconvénient que la PMEV va reprendre les propositions de Reuchlin et de Bandura, en apportant à la Pédagogie de Maîtrise, selon Michel Monot, " une innovation essentielle : la nécessité pour les élèves d'échanger entre eux pour prendre des repères, qui répond par ailleurs à leurs besoins profonds : besoin de communication avec les pairs et besoin d'accomplissement."
Jean Cardinet : l'importance de l'interactivité et de l'auto-évaluation : Dans le même ouvrage, Jean Cardinet, chercheur à l'Institut Romand de Documentation Pédagogique met en évidence l'importance de l'interactivité et de l'auto-évaluation :
" Les formulations des élèves sont en effet plus explicites si ces derniers doivent les produire en interagissant avec une autre personne, par exemple s'ils travaillent à deux, et s'ils ont besoin de communiquer des informations par écrit à des tiers. C'est sans doute les échecs de leur première tentative de communication qui leur apprennent l'importance d'une formulation claire et sans équivoque pour le destinataire. "
" Au lieu du pilotage des remédiations depuis l'extérieur, l'approche interactive peut être intériorisée par l'élève si ce dernier est amené à effectuer lui-même la démarche des feed-back correction. L'auto-évaluation est en effet le meilleur moyen pour lui de prendre conscience de sa distance à l'objectif et de ressentir un conflit cognitif mobilisateur. La phase essentielle de l'interaction est l'explicitation par le maître des critères de l'atteinte de l'objectif et l'entraînement des élèves au repérage de ces critères, Cette progression systématique vers l'auto-évaluation se confond en fait avec la progression vers la maîtrise, car l'élève peut réaliser en général la performance visée s'il est capable de voir par lui-même les critiques que l'on peut faire à son travail initial et s'il voit comment corriger les points faibles. Au lieu d'intérioriser plus ou moins consciemment l'appréciation globale que l'enseignant porte sur ses capacités, l'élève devient capable d'un jugement critique et différencié sur lui-même
L'apprentissage de l'auto-évaluation est ainsi plus qu'une technique accessoire d'évaluation. C'est le moyen essentiel dont on dispose pour faire passer la connaissance de l'élève d'un simple savoir-faire non réfléchi, purement opératoire, à un savoir réfléchi, permettant d'intervenir consciemment sur ce savoir-faire lui-même. Seul cet apprentissage de l'auto-évaluation peut donner accès à l'autonomie, objectif ultime de toute éducation.
On voit ainsi que le progrès de la communication entre le maître et les élèves, l'approfondissement de leurs échanges constituent la stratégie pédagogique globale qui rend compte de chaque étape de la démarche corrective mais aussi, à travers ses étapes, de la logique d'ensemble de tout apprentissage. "
Daniel Gaonac'h : se construire des attentes : En 1995, dans un ouvrage collectif, " Manuel de psychologie pour l'enseignement " Daniel Gaonac'h, professeur à l'Université de Poitiers, écrit : " Nous analysons nos propres comportements, nous les jugeons à nos propres normes, et ainsi nous les renforçons ou les punissons nous-mêmes. Le "sentiment de réussite", ou simplement le "sentiment du travail bien fait", font bien partie de ce que nous ressentons dans les situations de travail. Ils supposent que soit effectif un élément essentiel : que le sujet se soit construit des attentes relatives à ses performances.
La Pédagogie Par Objectifs prend en compte cet aspect des apprentissages : un moteur essentiel des acquisitions est la possibilité pour le sujet de construire des représentations précises et sûres de ce qu'on attend de lui, et de percevoir comment il progresse par rapport à ces attentes. C'est une des hypothèses d'apprentissage sous-jacentes à la P.P.O (elle n'est pas toujours explicite dans les textes qui préconisent le recours à une P.P.O : les mécanismes d'apprentissage, y compris tels qu'ils ont été analysés par les behavioristes, supposent, chez les êtres humains, la possibilité de prendre en compte les objectifs assignés à la situation d'apprentissage. "
Pour Michel Monot, " ces précisions de Goanac'h permettent de mieux comprendre le décalage survenu en France par rapport au modèle américain et au concept d'apprentissage social. La PMEV s'efforce de prendre en compte les points soulevés par cet auteur. Elle prévoit des moments qui permettent à l'élève :
de se construire des représentations précises et sûres de ce qu'on attend de lui,
de recueillir les éléments qui lui permettent d'ajuster peu à peu ses représentations préalables et de percevoir comment il progresse par rapport à ses attentes.
Michel Huberman : la PM n'est pas un catalogue de banalités déjà connues. Pour conclure avec Michael Huberman, auteur et coordinateur de l'ouvrage collectif des chercheurs suisses, la Pédagogie de Maîtrise n'est en rien, comme ont pu le dire certaines critiques, la remise à l'ordre du jour d'un catalogue de banalités déjà connues. Pour lui, : " Il est bien vrai qu'une relecture attentive de Pestalozzi, de Froebel, de Dewey, ferait ressortir les mêmes principes que ceux évoqués dans le cadre de la Pédagogie de Maîtrise. Il y a toutefois aussi quelques différences essentielles.
D'une part, le modèle de maîtrise est nettement plus systémique : il cherche à cerner l'ensemble des dispositifs pédagogiques plutôt qu'à accentuer l'une ou l'autre de ses composantes. Il cherche également à lier chaque composante au rythme, au degré ou aux motivations à l'apprentissage chez l'élève. D'autre part, ce dispositif repose sur des bases empiriques sensiblement plus solides, plus précises, plus systématiquement recherchées, prenant en compte davantage de contenus et de contextes que celles sur lesquelles pouvaient se fonder les grands pédagogues. Par ailleurs, cet argument n'est pas nécessairement négatif : une grande convergence entre les écrits des anciens et des modernes ne peut être que réjouissante pour ceux qui recherchent une validation concurrente."
2.2 – L'APPRENTISSAGE VICARIANT
Bandura, Reuchlin, Winnykamen, Gaonac'h
Parmi les apprentissages cognitifs, qui supposent l'établissement d'une représentation mentale, dépassant ainsi le simple lien stimulus-réponse , on trouve " l'imitation vraie " qui suppose que l'imitation du comportement s'accompagne de la compréhension de la situation. Il se distingue donc de la simple imitation sans compréhension. Chez les animaux, l'imitation " vraie " n'existe que chez les pieuvres et les primates.
La pieuvre peut ainsi apprendre à dévisser le bouchon d'une bouteille pour prendre le crabe qui est à l'intérieur si on lui en fait la démonstration.
Dans l'expérience des chimpanzés de Köhler, on avait pendu des bananes au plafond de la cage du chimpanzé. Ayant des caisses à sa disposition, l'animal avait empilé les caisses pour atteindre les fruits.. Lorsqu'on montre l'expérience en vidéo à un autre animal, celui-ci trouve immédiatement la solution.
Bandura : " vicarious learning "
Bandura a développé le concept de " vicarious learning " (apprentissage indirect) dans le cadre de la reformulation de la théorie de l'apprentissage social élaborée par Miller et Dollard en 1941, théorie qui considérait que l'apprentissage par observation (modeling) était l'une des sources les plus fécondes de l'apprentissage humain. François Larose, professeur et co-directeur du Centre de recherche sur l'intervention éducative de l'Université de Sherbrooke au Québec, écrit : " Bandura (1971) se démarque du modèle original de Miller et le Dollard en ajoutant un troisième modèle d'apprentissage se distinguant de l'apprentissage par essai-erreur (dans une perspective opérante skynnerienne typique). C'est ce qu'il identifie en tant que vicarious learning, ou en traduction littérale, apprentissage indirect, qui se fonde non sur l'action ou l'observation comportementale directe mais potentiellement sur l'observation "symbolique". L'exposition à des séquences descriptives orales de conduites et des conséquences de ces dernières en est un exemple. Dans les sociétés "traditionnelles" autochtones, le rôle du conte, des légendes, de l'exposition aux récits de chasse des anciens, par exemple, peuvent en illustrer le principe. On ne présume pas que les séquences racontées sont directement reproductibles mais on présume que les sujets apprenant qui y sont suffisamment exposés sauront identifier des règles de généralisation de conduite appropriées à certaines catégories de situations auxquelles ils n'ont pas été préalablement exposés. Comme le vecteur (l'ancien) est reconnu compétent ou expert, l'effet de l'apprentissage sera renforcé. "
Wynnikamen : l'apprentissage socio-constructif par observation
L'idée " d'un apprentissage socio-constructif par observation " est également développée, en 1990, par Fayda Wynnikamen, Professeur à l'Université René Descartes (Paris V), dans son ouvrage " Apprendre en imitant ? ". Il écrit : " Par exemple, grâce à une procédure d'imitation-modélisation interactive, il est possible de faire assimiler par des enfants en situation d'échec scolaire caractérisé un algorithme aussi difficile que celui de la division arithmétique. Du même coup se modifie, dans le bon sens, leur jugement d'efficacité personnelle
" Rendre les procédures de résolution observables constitue la condition minimale pour contrôler la validité d'un mécanisme d'observation-imitation pour l'acquisition de ces procédures. "
" Une importante question concerne les modes de fonctionnement dyadiques, ou en petits groupes, qui permettent la progression. Ces modes de fonctionnement pourraient favoriser l'activation, la dynamisation du sujet ou des sujets apprenants. Le traitement des informations utiles, après leur sélection, peut mobiliser tel ou tel mécanisme. "
" Par exemple, en conformité avec les analyses de Gilly, les confrontations inter-individuelles aident au fonctionnement dialectique de la pensée individuelle. "
" Au plan de l'acquisition des connaissances,... La régulation inter-individuelle se fait nécessairement dans le sens d'une plus-value cognitive, plus-value déterminée par les efforts de l'imitant, mais aussi par ceux du modèle. "
Maurice Reuchlin : le rôle de l'observation
En 1990, Michel Monot écrivait : " Albert Bandura, inventeur du concept d'apprentissage vicariant est un auteur peu connu en France. Son ouvrage sur " l'apprentissage social ", publié aux Editions Mardaga en 1986, a connu une diffusion ordinaire, au point que le concept d'apprentissage vicariant est resté longtemps inconnu de maints professionnels et donc inexploité. A fortiori, le rapprochement que cet ouvrage pourrait autoriser avec certaines interrogations de Maurice Reuchlin - elles-mêmes restées très confidentielles – sur le même sujet reste donc à explorer.
Pour la plupart des théories de l'apprentissage comme pour l'observateur ordinaire, ce qu'on appelle apprentissage ne peut se faire qu'en accomplissant une action et en faisant l'expérience de ses conséquences.
Pas plus que Reuchlin, Bandura ne rejette cette évidence, mais il observe avec pertinence que cette vision très consensuelle ne recouvre pas toutes les réalités de l'apprentissage. Pour lui ces apprentissages par expérience directe surviennent en fait le plus souvent sur une base vicariante, c'est-à-dire en observant le comportement des autres et les conséquences qui en résultent pour eux. L'apprentissage vicariant ne dispense certes pas dans tous les cas de l'expérience directe, mais il permet le cas échéant de la faciliter et incite à s'y investir si les conséquences observées sont positives.
Le fait de pouvoir apprendre par observation rend en effet les individus capables d'acquérir des comportements ou des savoir-faire sans avoir à les élaborer graduellement par un processus d'essais et d'erreurs, affirme Bandura, qui se démarque ainsi des thèses habituellement béhavioriste des anglo-saxons.
La théorie de l'auto-efficacité se situe dans le prolongement de l'analyse précédente. Selon cette théorie, définie par Bandura, la perception qu'a un individu de ses capacités à exécuter une activité influence et détermine son mode de pensée, son niveau de motivation et son comportement. Bandura prétend que les personnes cherchent à éviter les situations et les activités qu'elles perçoivent comme menaçantes, mais elles s'engagent à exécuter les activités qu'elle se sentent aptes à accomplir.
Pour Bandura, l'expérience vicariante, c'est-à-dire l'opportunité de pouvoir observer un individu similaire à soi-même exécuter une activité donnée, constitue une source d'information importante influençant la perception d'auto-efficacité. Cette expérience vicariante vaut pour les adultes comme pour les enfants, dans le domaine professionnel comme dans le domaine scolaire, voire dans bien d'autres domaines, y compris médical.
L'apprentissage vicariant fonctionne à l'école élémentaire d'une manière que l'on pourrait dire naturelle mais peu cohérente, et parfois à l'insu du maître. En voici des exemples, très connus mais plus complexes qu'on ne le croit, pour lesquels il conviendrait de distinguer ce qui relèverait de l'imitation pure, de l'apprentissage socio-constructif, ou par observation :
malgré les interdits, les élèves ne se privent pas de prélever des indices utiles en observant le travail des meilleurs d'entre eux. Ce procédé est condamné, mais il faut s'interroger : sait-on quel est le poids relatif de ces pratiques jugées illicites dans l'acquisition effective des connaissances réglementaires ?
l'apprentissage vicariant est présent incognito dans certaines pratiques courantes : correction au tableau par un élève qui a réussi, recours à des corrigés modèles, lecture d'une bonne copie par le. Mais cette pratique enseignante peut-être interpellée : son rendement pourrait être meilleur si elle était clarifiée. "
Michel Monot : l'apprentissage vicariant dans le contexte scolaire
Michel Monot peut donc écrire :
1 - L'apprentissage vicariant pourrait correspondre, dans le contexte scolaire, et pour simplifier, à ce que l'enfant peut apprendre en marge du discours du maître proprement dit. En regardant faire et en écoutant ceux qui savent faire ou en train d'apprendre, ou encore, par extension, en analysant la production de ceux qui savent faire.
2 - Maurice Reuchlin avait incidemment mentionné l'intérêt pédagogique potentiel du processus : " C'est l'un des domaines où la contribution de la psychologie de l'apprentissage à la pédagogie semble pouvoir être importante", écrivait-il avant de préciser : "il semble que la période d'observation permette au sujet de dégager les aspects pertinents de la situation et de faire porter alors immédiatement ses propres essais sur ses aspects. "
3 – L'observation des classes confirme l'existence du phénomène mais révèle en même temps l'ambiguïté de son statut. Les maîtres y ont recours, parfois intuitivement, parfois en invoquant un utile processus d'imprégnation, mais ils condamnent dans le même temps l'usage spontané que peuvent en faire les élèves lorsqu'ils cherchent à "prélever un indice" sur le travail de leurs voisins.
4 – L'enseignant qui fait lire une bonne copie d'élève pour servir de modèle invoque l'utilité de l'imprégnation, processus assez mal défini qui justifierait de même, en lecture, le recours aux "bons auteurs". Mais ce processus est en réalité, dans la définition que nous en avons retenu, celui de l'apprentissage vicariant : l'élève va apprendre, progressivement et intuitivement, à partir du savoir-faire d'autrui, ce que l'enseignant aura parfois du mal à expliciter. Le recours à l'apprentissage vicariant est également de pratique courante dans la conduite des leçons : l'enseignant, pour étayer la progression de son cours, fait appel aux compétences des élèves les plus avancés. Mais lorsqu'un élève, pour étayer son propre cheminement d'apprenti, cherche à prélever un indice sur le travail de son voisin, il est alors accusé de " copiage " et rappelé à l'ordre.
5 - Un même regard critique doit pas être porté sur la pratique et sur la place de la correction dans les processus d'apprentissage. Bien des élèves ne comprennent la leçon qu'au moment de la correction des exercices d'application qui lui font suite, phase qui met en jeu l'analyse du savoir-faire de l'autre et relève donc de l'apprentissage vicariant. La question peut être posée de l'utilité d'une aussi longue attente, que l'on voudrait studieuse, mais dont le profit intellectuel n'est nullement assuré dans tous les cas. En se gardant de toute interprétation réductrice et caricaturale de telles situations, force est de constater que la correction intervient souvent trop tard. La possibilité de réinvestir les nouveaux acquis risque alors d'être sacrifiée à la poursuite formelle du programme, qui devient pourtant du même coup plus aléatoire ! Le poids de ce vice caché dans la genèse du processus d'échec et de rejet de l'école pourrait être plus important que l'on ne veut bien l'admettre.
6 - Les intuitions de Maurice Reuchlin entrent ainsi en convergence avec un problème important qui, pour avoir été traité parfois sur le mode tendre (Le Cancre de Prévert), n'en constitue pas moins une question centrale de la pédagogie. En évoquant implicitement le problème du temps d'apprentissage, Maurice Reuchlin rejoint les préoccupations des chercheurs américains du courant Mastery Learning et les cruelles révélations de leurs enquêtes sur le temps investi par l'élève dans sa tâche. Si la reconnaissance institutionnelle des différences de rythme d'apprentissage, désormais acquise en France depuis la "Réforme des cycles", conduit à accorder à chaque élève "tout le temps dont il a besoin pour apprendre", les possibilités réellement offertes à l'enfant varient quantitativement de façon importante d'une classe à l'autre. Mais elles se révèlent surtout défaillantes dans la manière de renforcer qualitativement le "temps effectivement investi dans la tâche". Les propositions de Maurice Reuchlin, qui s'inscrivent dans une perspective relevant à la fois d'une sorte de d'épistémologie de l'école et de la délicate problématique phylogenèse / ontogenèse paraissent pouvoir répondre à cette attente importante. Elles concernent davantage l'organisation du travail d'apprentissage que l'acte d'enseigner proprement dit, nous invitant par-là à interpeller le poids des habitudes et les options qui prévalent, aujourd'hui encore, dans les sphères administratives et pédagogiques.
7 – L'intérêt potentiel de l'apprentissage vicariant conduit par ailleurs à poser fermement le problème de l'évaluation, de la place que doivent en prendre respectivement les différentes formes dans une conception rationnelle des apprentissages.
a) - La nécessité de l'évaluation dite " institutionnelle ", que l'on rencontre par exemple dans la tenue régulière des livrets individuels de suivi, ne saurait échapper à personne. Mais son caractère omniprésent et quelque peu envahissant doit cependant être dénoncé avec d'autant plus de vigueur que les parents, dans un souci légitime de suivre le travail de leurs enfants, tendent à en accentuer les effets pervers. Évaluer un apprentissage en train de se faire est un non-sens pédagogique total, qui se rencontre pourtant fréquemment du fait d'une interprétation quasi irresponsable des exigences de l'évaluation institutionnelle. Cette hargne évaluative (Stella Baruk) peut alors porter préjudice aux autres formes de l'évaluation - qui la devancent dans la suite logique des processus d'apprentissage - et donc à l'apprentissage lui-même.
b) - Il en est ainsi de l'évaluation dite " formative ", qui permet au maître "d'observer et de comprendre ce qui se passe dans les apprentissages" pour les accompagner et les optimiser. Celle-ci, qui va permettre d'agir sur la qualité des résultats, que l'évaluation institutionnelle pourra ensuite mettre en évidence, est parfois perturbée par la nécessité de répondre à dates fixes aux exigences mal comprises – ou mal traitées - de l'évaluation institutionnelle. Cette contradiction, très courante, qui témoigne d'une certaine irresponsabilité hiérarchique ou du moins d'une conception trop formaliste de celle-ci, est préoccupante.
c) - Plus grave encore, s'il se peut, l'importance récemment révélée de l'évaluation formatrice est encore fréquemment ignorée.
8 – La prise en compte de l'hypothèse de Maurice Reuchlin en vue d'une exploitation plus rationnelle de l'apprentissage vicariant se heurte à des difficultés certaines. Aux difficultés proprement techniques, qui sont réelles, s'ajoute le poids des habitudes et des traditions éducatives les plus respectables, que paraissent cependant pouvoir contrecarrer le sens des réalités et le volontarisme des enseignants, non moins respectables eux aussi.
9 – L'apprentissage vicariant est un apprentissage "socio-constructif par observation" (F.Wynnikamen), dans lequel l'élève procède de façon différée, hors de la présence du " modèle " dont il a cherché à identifier les éléments pertinents (Maurice Reuchlin). Le processus se caractérise par une succession rapide de changements ou d'ajustements de représentations, comme dans "le tâtonnement expérimental" dont il constitue une version peut-être moins hasardeuse que l'original, dans la mesure où le temps gagné par étayage des apprentissages notionnels pourrait dès lors être réinvesti au bénéfice des activités de créativité et à celui des activités sportives. "
De 1990 à 1996, dans la circonscription de Nouméa 3, Michel Monot prend donc comme projet de " Réhabiliter l'apprentissage vicariant (hypothéqué par sa parenté avec le " copiage ") et l'adapter à des fins scolaires. "
Suivant les pistes ouvertes par Reuchlin et Bandura, il élargit la définition d'apprentissage vicariant à l'être humain de la manière suivante : "Mode d'apprentissage " primitif " que l'on peut observer et étudier chez les animaux mais qui persiste également chez l'être humain. C'est un apprentissage par imitation mais un apprentissage authentique, qui ne peut être confondu avec la singerie, la simple simulation ou la contrefaçon, et consiste bien en l'appropriation véritable d'un savoir, mais plus souvent d'un savoir-faire ou d'un savoir être. "
Daniel Gaonac'h : l'apprentissage social
En 1995, dans son "Manuel de psychologie pour l'enseignement ? Daniel Gaonac'h, professeur à l'Université de Poitiers, souligne la position particulière de l'apprentissage social qui, en cherchant tout particulièrement à rendre compte du rôle des influences sociales dans les apprentissages, se situe, comme la Pédagogie de Maîtrise, à l'articulation du behaviorisme et du constructivisme. Daniel Gaonac'h écrit : " Le rôle de l'imitation dans le développement génétique est bien connu. Les enfants apprennent beaucoup en observant leur entourage, en tentant d'imiter ce qu'ils observent. Les capacités d'imitation apparaissent d'ailleurs très tôt. Bandura étend le raisonnement à toutes les situations d'apprentissage, et considère que celui-ci peut d'abord se fonder sur l'observation. Profiter de l'expérience des autres est une façon extrêmement courante d'apprendre. Nous pouvons tenir compte des réussites et des échecs de nos congénères pour ajuster nos comportements. Le renforcement n'est pas alors directement applicable au comportement de l'apprenant, mais à des comportements que celui-ci peut observer. C'est ce que les théoriciens de l'apprentissage social appellent apprentissage vicariant.
C'est une forme d'apprentissage fortement présente dans beaucoup de situations de la vie quotidienne. Les modèles peuvent être des congénères : adultes, pairs... Ils peuvent aussi correspondre à des symboles dont la valeur sociale est importante : des mots, des idées qui sont valorisés socialement, des images, des événements. Certains films peuvent ainsi servir de référence à toute une génération, et conduire à renforcer des comportements, des attitudes...
Le professeur dans sa classe peut manipuler ce qui va servir de modèle, dans un sens très large, à la maîtrise de nouveaux comportements et à la stabilisation des comportements acquis. L'enseignement ne porte pas que sur les phases d'exercice explicite, mais aussi sur tout ce qui, dans la classe, les entoure. Tous les aspects de la situation pédagogique servent à l'enfant de période d'observation : les premières minutes d'une classe, tout ce que le professeur utilise pour amener une question, les éléments qu'il va mettre en exergue, souligner... C'est sur cette base que l'élève va dégager les aspects pertinents de la situation, c'est-à-dire, comme dans toute situation d'apprentissage, sélectionner les éléments sur lesquels va ensuite porter l'apprentissage proprement dit. " Après cette approche théorique nécessaire, destinée à montrer que la Pédagogie de Maîtrise à Effet Vicariant n'est pas l'émanation hasardeuse d'une pensée opportuniste, et que le nom qui lui a été donné explicite ses origines, nous sommes maintenant en mesure d'aborder le chapitre de ses modalités de mise en œuvre.Jacques Bert, 2005
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Par 0fote le 16 Avril 2013 à 13:03
Intervention de M. Bert, 2005
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